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alone in the Dead
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alone in the Dead
27 août 2007

La chanson de Jane et Mademoiselle.zombie, survival, morts vivants, invasion, walking dead

zombies




J’étais resté quelques instants comme fasciné par la macabre apparition, ressentant un mélange de chagrin et d’intérêt. Chagrin, car elle n’aurait jamais le loisir de savoir que nous avions déjà envoyé ad patres deux de ses tortionnaires. Intérêt car nous avions entendu l’histoire de cette jeune femme et  de ses déboires ; cela lui avait donné une réalité, une présence dans mon esprit car elle avait été le personnage d’un récit que l’on m’avait conté, et ce personnage je le rencontrai maintenant en vrai. Ou du moins ce qu’il en restait. Aucune équivoque sur ce qui l’avait tué. La blessure au ventre aurait peut être été récupérable dans un délai court après qu’elle aie été infligée – peut être je dis bien. Peut être pas. Je ne suis pas médecin après tout. Mais bien que je ne sois aucunement un monsieur en blouse blanche soumis au serment d’Hippocrate j’en savais assez, bien assez, pour savoir qu’au niveau du cou, une telle blessure ayant tranché la veine jugulaire était sans appel. En revanche, de toute évidence les morts ne l’avaient pas « finie ». Et s’étaient désintéressé de sa carcasse. Pour quelqu’un d’autre ? A moins qu’elle n’aie eu le temps dans les derniers soubresauts de la vie de s’arracher à eux et d’aller mourir plus loin, là ou ils ne pourraient continuer de saccager son corps. Je n’en savais foutre rien, et nous n’en saurons jamais foutre rien. Mais de toute évidence cela réglait une partie du problème ou du dilemme. Nous étions partis dans l’optique de sauver deux jeunes femmes sans réellement savoir par laquelle commencer. L’une s’approchait désormais de nous,  faisant craquer les brindilles d’un sous bois froid et gris, les deux billes de porcelaine bleue de ses yeux désormais vidés du soleil de sa jeunesse, privés de la compréhension de leur univers. Néant. Tristesse.

 

 Et aucune peur. Les experts n’ont jamais su réellement définir si l’on s’habitue à la peur à force de côtoyer l’horreur, ou si au contraire elle s’amplifie et grossit jusqu’à emporter l’esprit. Dépend peut être des individus. Mais il est vrai qu’après avoir côtoyé de si prêt la mort et les morts – en particulier ceux qui se relevaient en masse après avoir dévoré les deux loubards violeurs – je n’éprouvais rien à voir cette jeune morte approcher, rien d’autre en tout cas que cette pincée de tristesse et ce vague intérêt, maintenant retombé. Maigre, flottante dans les vestiges d’un pull over bleu sombre déchiré d’ou sortaient ses entrailles, des brindilles dans ses cheveux, elle avait de faux airs à l’actrice Jane Birkin quand elle était jeune, avec ses longs cheveux lisses sa maigreur et ses yeux clairs  – je pense qu’ils devaient déjà être bleus avant que la mort ne les voile. Somme toute, un zombie plus pitoyable qu’autre chose. Si l’on exceptait la béante plaie du cou, et les viscères apparentes, elle aurait eu l’air d’une sorte de junkie qui viendrait de prendre le fix de sa vie et planerait en déambulant dans les campagnes.

 C’est d’ailleurs du calme et de la détermination, et aucune inquiétude, que je lu dans les yeux de Stéphane lorsque nos regards se croisèrent. Il prit son temps pour calmement assurer sa prise sur la hache qu’il avait trouvé dans la station service, puis pour avancer vers la défunte à pas mesurés. Evidemment. Il aurait été de la première stupidité d’utiliser une arme à feu au son de tonnerre dans des sous bois éventuellement hantés de ces revenants livides, et à proximité d’une maison dans laquelle nous allions certainement avoir affaire à des vivants tout aussi sinistres à leur façon.

 Je prit alors Stéphanie contre moi et je la serrais, en lui chuchotant d’une voie apaisante, le temps que Stéphane finisse son affaire. Il s’y prit de manière très professionnelle, et ce fut vite fini. Il la déséquilibra d’un premier coup puissant, puis pour être certain du résultat abattit la hache pour décapiter la jeune morte. Un spectacle écœurant, mais je commençais à pouvoir affirmer « j’en ai vu d’autres ». Ouais, j’en ai vu d’autres mon gars. Un vrai vétéran de l’ère des zombies. Ca vient assez vite, finalement. On a assez peu le choix, il faut dire.

Néanmoins, voir une jeune femme trucidée ainsi, séparée en deux comme une manante du moyen âge amenée à la hache du bourreau, le rôle de ce dernier étant tenu par mon ami policier, était tout de même éprouvant. Ca  m’avait collé de sales nerfs. Je me bénit moi même une fois de plus d’avoir amené autant de cigarettes ; j’en grillai d’ailleurs une immédiatement après avoir relâché la gamine, les mains un peu tremblantes. Tout en maudissant le jour futur ou je n’en trouverais plus nulle part.

 Nous n’avions plus de raison précise de rester ici à proximité de la bâtisse, et certainement pas le temps de réciter une oraison funéraire pour l’inconnue tombée dans les sous bois pour ne plus se relever. Elles étaient deux, et la deuxième était peut être encore en vie. Nous considérions comme un devoir moral d’aller voir ce qu’il en était ; je pense que c’était parce que nous avions besoin de nous raccrocher à quelque chose pour ne pas tomber dans la démence nous même. Et plus rien à voir avec l’envie de jouer les héros comme dans les histoires de notre enfance ou les jeux de rôles que lui et moi prisions tellement. Un tel désir, aussi puéril, n’aurait pas résisté à l’épreuve du temps et aurait vite fait place à une seule constatation égoïste de survie. Plus rien à voir avec la testostérone. Tout cela n’avait servi que de booster. Là, nous étions déterminés. Et c’est avec cette même détermination que nous quittâmes le pâle sous bois pour gagner la bâtisse.

 Elle n’avait rien de réellement remarquable ; une vieille ferme réaménagée, de deux étages. On y accédait par un petit chemin de terre, et elle n’était pas entourée d’une  clôture. La fermette était sans doute en cours de rénovation pour devenir une agréable maison d’habitation, et elle avait dû être habitée peu de temps avant l’holocauste des morts, tel qu’en témoignaient certains signes. Des rideaux blancs translucides de cuisine, visiblement neufs, aux motifs de dentelle compliqués, cachant les fenêtres les plus proches de la porte d’entrée. Un jouet d’enfant – une petite brouette jaune et orange fluo tachée de boue et renversée dans la cour, prêt de la margelle d’un vieux puis. Et un abri couvert de tôle ondulés, attenant à la droite de la ferme, rempli de stères de bois de chauffage recouvertes de bâches sales. La cour n’était pavée que par endroits, et la terre sombre gorgée d’eau apparaissait un peu partout devant la bâtisse, tandis que ses côtés latéraux semblaient envahis d’herbes folles qui elles par contre, inspiraient un sentiment d’abandon et de ruine comme si les propriétaires avaient décidé de soigner l’extérieur de leur acquisition campagnarde en dernier. De toute façon, c’était le cadet de leurs soucis à présent. Pas de garage apparent, ce dernier devait se situer de l’autre côté de la bâtisse ou alors, ils devaient se garer dans la cour de derrière. Et pour autant que nous puissions en juger, pas de lumière.

Ne me rappelant plus très bien si Stéphanie avait donné un quelconque détail le confirmant ou pas dans son récit, je lui demandai en murmurant si il y avait bien eu de l’électricité du temps de sa captivité. Elle me répondit d’un juvénile et bien peu littéraire «  ben ouais ».

 D’accord. Donc soit ils étaient partis, soit ils étaient dans cette fameuse cave. Personne dans l’entrée ou dans la pièce attenante que je supposais être une cuisine, au vu des rideaux. Les autres fenêtres de la devanture étaient condamnées par des volets en bois sombres refermés. Aucune lumière n’en filtrait non plus. Une dernière possibilité eût été qu’ils n’aient pas allumé la lumière, mais nous avions dépassé les 17 heures, et en ce mois de janvier maudit il faisait déjà probablement très sombre à l’intérieur. Alors, comme ces loubards n’avaient pas trop le soucis de savoir de combien serait la facture d’électricité - ah, normalité chérie, si nous avions su à l’époque combien il était bon de recevoir une facture d’électricité - cela me semblait fort peu probable.

J’étais un peu perplexe quant à savoir comment nous allions pénétrer dans la bâtisse, mais je laissais ce genre de considération techniques – qui m’ont toujours exaspérées – à mon pragmatique ami le flic car comme chacun sait un bon flic connaît les techniques de voyous à moins qu’il ne lui même un peu voyou. Je supposai qu’il avait un plan, car depuis le début de nos aventures j’étais toujours parti du principe que Stéphane avait un plan, ce qui nous avait jusqu’à présent pas trop mal réussi, sauf lorsqu’il nous avait encafardé dans un parking perdu en flinguant à jamais sa clio rouge. Il me fit signe d’approcher, puis me tendit son Sig Sauer ; il m’expliqua brièvement, en chuchotant, son fonctionnement. Je n’avais jamais tiré avec un pistolet, mais j’avais déjà eu par contre l’occasion de faire du tir à la carabine, et je n’étais pas stupide. Enlever le cran de sécurité, viser, tirer. Enfantin. Après, pour faire mouche c’est une autre histoire et il paraît que les premières fois le recul surprend, mais bon qu’importe. Puis il me demanda de faire le guet et de veiller sur nous trois pendant qu’il tenterait de crocheter la serrure.

 J’étais très absorbé par ma tâche car la proximité des sous bois, certainement emplis de macchabées ambulants, s’additionnait à l’impression de dangerosité latente, de menace en attente, qui me semblait émaner de la vieille bâtisse, dans laquelle résidait nous le savions la victime d’un viol à répétition et l’un de ses tortionnaires dont il faudrait disposer d’une manière ou d’une autre. Cela me mettait les nerfs en pelote. Normal, j’imagine.

La gamine, elle, se rongeait les ongles et fixait les sous-bois, trépignant un peu sur place. Imaginer qu’elle était pressée d’entrer étant donné ce qu’elle avait subit là dedans me prouvait à quel point d’une part elle avait une certaine force de caractère à sa façon. D’autre part cela prouvait par dessus tout à quel point elle redoutait de voir au loin les silhouettes grisâtres et vacillantes recouverte de lambeaux boueux que moi même je craignais viscéralement, à chaque seconde, de voir apparaître.

 Stéphane mit fin à notre attente angoissée. S’étant escrimé pendant quelques minutes à crocheter la serrure avec je ne sais quoi – un couteau suisse, peut être, car il me semblait l’avoir vu ranger un objet rouge dans sa poche en se relevant, il s’adressa à nous en chuchotant.

  • Bon, rien à faire je galère trop. On y arrivera pas comme cela. On fait le tour.

Nous acquiesçâmes en silence. En rendant le 9mm, je me fit la réflexion que ce serait formidable si moi aussi je pouvais mettre la main sur une pétoire, de n’importe quel genre ou calibre, pour apprendre les rudiments du tir avec ladite arme. C’est si sécurisant, ce genre d’objet. Et puis, on peut toujours se garder une balle. Au cas où.

 Nous passâmes sur les côtés latéraux de la bâtisse. Longeant cette dernière, un petit passage bétonné semblait incarner l’ordre et la netteté avant le chaos des herbes folles. Aucune fenêtre, sauf une petite, carré, en hauteur. Le genre qu’on trouve dans les salles de bains ou les toilettes. Aucun intérêt. Mais, pas de lumière, toujours. La maison d’un calme mort semblait comme un piège à retardement et la tension montait j’en suis sur chez nous trois, même chez le plus chevronné. 

 De l’autre côté se trouvait une autre sorte de cour, dont le sol était cette fois-ci composé de gravillons ; une porte de garage, une autre porte, une fenêtre unique au premier étage, les autres en hauteur. Egalement éteintes, toutes. A l’arrière plan, une sorte de jardin là aussi envahi d’herbe folles, et une balançoire accrochée à un noyer massif. Une table de jardin et quatre chaises vert sombres, que personne n’avait rentré – que personne ne rentrerait plus jamais – pour l’hiver. Toute l’imagerie à la fois banale et touchante d’une petite famille de jeunes parents avec enfants qui devait s’être installé dans la campagne de ce trou perdu du milieu de la France pour retaper une maison déjà presque habitable lorsqu’ils étaient arrivés, et qui n’avait plus besoin que d’un bon relooking de l’extérieur lorsque c’était déclenché ce qu’il nous faut bien appeler la fin du monde. Le début de cette fin, en tout cas..

 Je continuais à espérer que Stéphane avait un plan, puis un plan bis au cas ou le plan initial ne marchait pas, et ainsi de suite. Mais je constatais vite qu’il en était arrivé, au fond, à la même conclusion que moi. Il urgeait de savoir ce qu’il était arrivé à cette fille, nous étions armés – y compris d’une arme à feu – et il n’était pas très sain de rester dehors plus longtemps. Il fallait agir, maintenant, et ne plus tergiverser. L’excès de prudence ne doit pas induire l’inaction.

 Précautionneux quand même, le jeune policier déroula un sweat-shirt qu’il s’était enroulé autour de la taille. Un vieux sweat-shirt marron-jaune, avec Princetown University écrit en marron plus foncé, trouvé dans la station service lorsque nous avions rassemblé des affaires, là-bas, derrière notre bonne vieille grille. Lorsqu’il se déroula en entier, je compris qu’il ne l’avait pas prit pour lui, car le sweat était de toute évidence bien trop petit. Certainement oublié sur l’un des dossiers de la cafétéria, dans ce passé  lointain et lumineux ou des petites familles faisaient encore des arrêts pose-pipi et les prolongeaient pour boire un coca avant de reprendre la route des vacances. Avant.

 En fait, ce bougre, il avait tout prévu, même ce qu’il allait faire lorsque les plans A, B, ou X delta ne marcheraient plus. Il me demanda de tenir le sweat contre la fenêtre, puis frappa enfin, du bout du manche de la hache. Il lui fallu deux coups, car même en ayant décidé de rentrer par effraction, quelque chose devait le retenir tout de même de faire trop de boucan, et retenait ses coups par la même occasion. Certainement avait t’il encore l’espoir que nous ne nous fassions pas entendre par le ou les loubards se situant à l’intérieur. C’était d’ailleurs je pense une des raisons du Sweat. Outre le désir de ne blesser personne, Stéphane utilisait là un classique du système D pour tenter d’étouffer un minimum le son aigu et tranchant de cassure du verre.

 Le deuxième coup, plus sec et téméraire, brisa donc la vitre. Je ne savais pas trop à quel point il fallait en remercier la technique du sweat-shirt, mais effectivement le bruit fut moindre par rapport à celui que je m’apprêtais à entendre d’une fenêtre du rez-de-chaussée brisée par un coup de manche de hache. La vitre n’avait pas volé en mille éclat, mais un gros bout de celle-ci était parti, laissant place nette pour un très grand quart de sa surface, situé en bas à gauche. Le fragment manquant était tombé à l’intérieur.

 Ne désirant pas laisser perpétuellement à Stéphane l’initiative de tout ce qu’il y avait à faire, et voulant davantage m’impliquer, je me mit alors, comme j’étais le plus proche, en devoir d’ouvrir la fenêtre. Passant mon pied-de-biche de la main droite à la main gauche, je passais délicatement ma main dans l’ouverture et m’activais à ouvrir le loquet. Les rideaux opaques, couleur de feuille d’automne, ondulaient sans me laisser voir l’intérieur, ce qui avait un effet forcément et naturellement angoissant. Je m’attendais à tout instant à voir les rideaux s’écarter brusquement sur un visage masculin, ou à sentir une poigne forte me saisir le poignet. J’opérais néanmoins, et avec lenteur car malgré tout, mon bras était fort proche de la zone ou le verre avait été brisé et je risquais par mégarde de me couper très salement. Rien de tel heureusement, et enfin, le loquet fut abaissé ; je repoussai alors les deux volets de la fenêtre qui crissèrent sur les rideaux en les écartant et en me révélant un salon. Vide.

 Me retournant vers mes deux compagnons de route, je vis que Stéphane voulu pousser gentiment Stéphanie en avant, d’un geste d’accompagnement. Sans effet. L’adolescente restait les deux jambes fermement plantées dans le sol. D’un ton apparemment sans appel elle affirma.

  • Non. J’veut pas.

Immédiatement, nous nous consultâmes du regard avec Stéphane ; brièvement. Aïe. Problème.

  • Non, j’veux pas. J’veux pas.

La gamine commençait à trembler compulsivement, et il suffisait de voir son passablement charmant minois commencer à virer au très pâle pour se convaincre que ce n’était pas là une comédie de fillette trop sensible, mais un vrai trauma. Mademoiselle avait été brave, au vu des circonstances, mais au moment de s’engouffrer de nouveau dans ce lieu de débauches coupables et de femmes forcées par des dépravés violents et machistes, son instinct lui criait de ne surtout pas y aller. Partout, mais pas là. Pour ne pas de nouveau être saisie par des mains sales, pour ne pas entendre de nouveaux rires rigolards, pour ne pas de nouveau attendre dans une cave d’une lugubreté théâtrale avec comme seule pensée « mon tour viendra ».

Alors elle flanchait et, pour parler trivialement, elle pétait un câble, la nénette. Et on ne pouvait pas lui en tenir rigueur ; mais on ne pouvait pas davantage lui laisser le loisir de continuer.

 Tentant immédiatement de prendre un ascendant psychologique en coupant court à la panique dès le début, Stéphane essaya de la ramener à plus de calme, toujours avec le plus de discrétion possible en lui murmurant.

  • Attend…Steph…le problème c’est qu’on peut pas…

Le a de « pas » avait été proféré sur une note traînante ;  un début de phrase court mais suffisamment éloquent. Ah non, on pouvait pas. Ca, non. Rester dehors avec tout ce qui y traînait c’était du délire pur et simple. D’ailleurs on y était resté suffisamment longtemps, dehors, sans rencontrer de mort-vivant, sans même en entendre. Trop de chance, ça n’allait pas durer ainsi éternellement. Et la laisser dehors ? Bien évidemment ; allons sauver une fille dont on ne sais même pas si elle est encore en vie, et laissons en contrepartie une autre jeune femme, bien vivante celle-là, offerte à l’appétit des macchabées comme la chèvre d’un film américain bien connu attendant, attachée à son piquet, le monstre antédiluvien qui viendrait la dévorer. Ben voyons. Stéphane reprit.

  • Écoute, je sais bien ce qui s’est passé là-dedans. Mais faut voir ce qui est arrivé à ta copine. Tu comprend ? Si cela avait été toi, tu aurais bien été contente, non ? Et on peut pas te laisser toute seule dehors. C’est bien plus dangereux que ce qui t’attend dans cette baraque, tu peut me croire.

Sentant que c’était le moment idéal pour rajouter mon grain de sel, imitant le timbre de voix prudemment bas de Stéphane, je renchérissait alors, tentant de donner également à ma voix le ton à la foi rassurant, moralisateur, et réprobateur, qu’aurait prit un grand frère devant un caprice de sa petite sœur.

  • Il a raison, Steph. On est deux quand même. Tu vois ? On est là. On est armés. J’ai un pied de biche, un tonfa, Stéph a une hache, un tonfa, et mieux que tout une pétoire. Une arme à feu, Steph ! Si tu braque ça sous le nez d’un de ces petits merdeux, il va tout d’un coup être tout doux tout mignon, tu verra…

  •  Puis ça, c’est si il est là. Il est peut être plus là dedans. Qui sait ? il est peut être parti en moto, en mobylette ou autre. Comme les deux autres. Non ? Tu crois pas que c’est possible ? Stéphane la secouait gentiment, en parlant, ayant passé un bras protecteur autour de ses épaules.

Je prit une foi de plus le relais. Cette technique de renvoi de la balle de tennis semblait commencer à marcher. Sa respiration était déjà moins hachée.

  • Le soucis, Steph…c’est que si on continue comme ça, on va finir par être repérés. On va perdre l’effet de surprise. Et on peut pas rester dehors, on te l’a déjà dit. En plus ça caille. On entre, on explore la maison, on est armé, on fait ce qu’il faudra faire, et tout ira bien. Tu verra. Mais si on reste, ça risque déjà de moins bien se passer.

Et nous dûmes ainsi de suite nous relayer encore un certain temps pour voir la pâleur et la nervosité de Stéphanie faire place à un comportement plus posé et plus adapté à la situation. Un moment, son état de peur empira de nouveau, brutalement, et j’ai bien cru qu’elle allait défaillir ou faire une sorte de malaise ; mais la gamine finit heureusement par se ressaisir. Finalement, elle prit une grande bouffée d’air, ses joues redevenues roses, très roses même, sous l’effet du froid.

  • Bon, OK. Mais vous restez toujours prêt de moi d’accord ?. J…j’…j’ai vraiment peur…Alors…je compte sur vous hein ? Vous me laissez pas tomber hein ?

Elle avait légèrement bégayé, et ce n’était pas sous l’action du froid. Brave gamine. Elle tentait de prendre sur elle. Certainement que je prenais un caractère plus affirmé à force de côtoyer mon pragmatique ami car elle m’attendrissait mais en même temps elle commençait à me saouler – détonnant mélange – et prenant le taureau par les cornes, je la prit par la main pour la tirer en avant.

  • OK, on reste prêt de toi ; je te tiens même la main si ça te rassure. Stéph passe légèrement devant nous avec sa hache. Ça va bien se passer, tu verras.

Elle me regardait avec un mélange d’émotion trop complexe pour être lu, comme il est parfois difficile de lire les couleurs utilisées par le maître pour réussir une une nuance pour sa toile. De l’espoir, de l’angoisse, une sorte de recognition comme si je lui rappelais un grand frère ou un tonton qui lui manquait. Un besoin éperdu de nous faire confiance, de croire en nous, de croire qu’avec nous tout irait bien, mais également des doutes à ce sujet. Je ne sais pas, mais je sais qu’une goutte tomba sur sa joue rosie. Pas une larme, une goutte de pluie. Absorbés par nos persuasifs chuchotements, nous n’avions pas vu le ciel s’assombrir. Je lui adressai alors un clin d’œil.

  • Tu vois, en plus il commence à flotter. C’est plus le moment de faire les plantons dehors.

N’attendant pas sa réaction, j’emboîtais le pas à Stéphane qui enjamba le rebord de la fenêtre, et pénétra, enfin, dans la masure.


II


La première salle ou nous pénétrions était comme je l’avais vu une sorte de petit salon ;  appuyé contre le mur, à proximité de la fenêtre, une télévision cathodique de belle taille reposait sur un meuble en bois sombre. Lui faisant face, de l’autre côté de la pièce, un canapé imitation cuir, trois places, d’un rouge sombre. Occupant tout le mur de droite, une grande bibliothèque vitrée remplie de livres, de magasines, et d’une encyclopédie en plusieurs volumes. Et de l’autre côté, découpant le mur de gauche également occupé par un cadre représentant un décors paysan aux tons pastels, une porte peinte dans les mêmes tons crème que les murs. Fermée.

 Immédiatement, Stéphane mit son doigt sur sa bouche pour nous intimer le silence, puis colla son oreille sur la porte quelques secondes. Il chuchota alors. « Rien ». Il s’approcha alors de nous puis nous prit par les épaules pour nous forcer à nous pencher un peu, afin de mieux entendre ses explications chuchotée à voix très basse.

  • Bon, voilà ce qu’on va faire. On va se redistribuer les armes. Le mieux, Willi, c’est que tu file ton pied de biche à Stéphy. C’est plus léger. Toi tu va prendre ma hache ; tu n’aura qu’à lâcher la main de Stéphy quelques secondes au cas où. Elle est assez lourde et tu auras besoin des deux bras le cas échéant. Et moi cela me permet de sortir mon pistolet;  c’est suffisamment dissuasif, alors il faut qu’on joue là dessus. Qu’en dites vous ?

Nous acquiesçâmes elle et moi, puis nous procédâmes tous aux échanges. Cela fait, Stéphane approcha de la porte crème, puis l’ouvrit avec milles précaution. Elle s’ouvrait vers l’extérieur, et mon ami gaucher put donc ouvrir de la main droite tandis que la gauche tenait la précieuse arme prête à l’emploi. Une fois dehors Stéphane jeta un coup d’œil panoramique. Puis avança, nous laissant la possibilité de le suivre dans le corridor, ce qui indiquait suffisamment clairement qu’il n’y avait aucun danger immédiat. Je ne savais pas précisément quelle heure il pouvait bien être maintenant, mais la pluie dehors avait encore davantage mis à mal la luminosité déjà morose de ce mois de janvier morbide, et la seule lueur qui éclairait faiblement ce couloir provenait des deux portes, celle de derrière, et celle de devant, qui étaient toute deux percée, vers le haut, d’un petit carreaux en verre fumé au motif en losanges. La porte de derrière était d’ailleurs toute proche sur notre gauche. Sur notre droite, le couloir menait tout droit à l’entrée, mais était traversé transversalement par un autre corridor, ce qui nous permettait de tourner soit à gauche, soit à droite. Stéphane se mit en devoir d’avancer plus doucement que jamais, pas après pas, sa main droite en soutien de la gauche, toute deux repliée fermement sur le calibre 9mm. La tension s’opacifiait, devenant lourde et noire dans ce jour d’hiver mourant ou le temps semblait ralentir en même temps que nos gestes d’une prudence extrême et d’une lenteur mesurée qui rajoutait encore à ladite tension. Un pas après l’autre, doucement. Ne pas penser. Avancer. Redouter l’explosion d’action, de violence, de quoi que ce soit qui viendrait briser cette exploration angoissée, et le souhaiter en même temps, pour en être enfin quitte. Parvenant à l’embranchement des deux corridors, un autre regard panoramique de Stéphane. Rien. Lâchant le pistolet de la main droite, il nous fit geste d’avancer. Je m'apprêtais à faire un pas, tirant la jeune femme par la main, lorsqu’il fit soudain un autre geste, levant brusquement la main pour nous faire comprendre qu’il ne fallait plus avancer, ni produire le moindre son. Je retenais mon souffle, et senti Stéphy faire de même dans mon dos. Sa main était moite.

 Stéphane tourna à moitié sa tête vers nous, mais ses yeux, eux, étaient tourné vers l’autre côté du couloir. Une attitude typique d’écoute absolument attentive et concentrée. Je tendais l’oreille aussi. Et effectivement il me sembla entendre quelque chose, à la limite de ma perception. Une sorte de boum, très léger, mais suffisant pour faire monter la tension d’un cran. La tension, cette anticipation du danger, plus terrifiante parfois que le danger lui même ; nous avions côtoyé des morts vivants, j’en avait même combattu plusieurs sans réellement faillir et là, je tremblais pourtant en agrippant ma hache comme si elle était une bouée de sauvetage.

 Nous restâmes ainsi quelques secondes à scruter d’autres bruits ou sons. Rien. Stéphane nous indiqua, d’un geste, et aussi d’un murmure si bas qu’il me fallu lire sur ses lèvres, que le bruit provenait de la partie gauche du corridor. Nous lui emboîtâmes donc le pas, toujours à pas de loup, armés, nerveux, tendus comme des élastiques prêt à se rompre.

 Une fois parvenu à l’endroit ou les deux couloirs se croisaient, nous pûmes voir l’autre corridor dans son entier et constater que dans la partie droite de ce dernier ne se trouvait qu’une porte, percée dans le mur de gauche, et qui si mon sens de l’orientation ne me jouait pas trop de tours devait être cette pièce que j’avais déjà baptisé mentalement « la cuisine » au vu de ses rideaux. S’y trouvait également, un peu plus loin un petit escalier raide qui permettait d’accéder à l’étage.

 La partie gauche, celle d’où était semble t’il parvenu ce bruit, était percée de quatre portes, deux dans le mur de droite, et deux leur faisant face en vis à vis dans le mur de gauche. L’une des deux portes de droite ne renfermait aucun mystère car elle était ouverte. Des toilettes. Nous avions donc le choix entre trois portes, celle qui se trouvait juste à côté des toilettes, dans le fond du couloir. Et les deux portes de gauche. Celle qui faisait face aux toilettes était toute proche, et donc Stéphane s’accroupit et colla son oreille tout contre, comme il l’avait fait dans le salon par lequel nous étions entrés. Il resta là plus d’une dizaine de secondes. Puis s’en décolla enfin. Dans son excitation, il oublia de murmurer aussi bas que d’habitude.

  • Bingo. Y’a du bruit derrière cette porte ; j'entends une sorte de raclement. Et des coups. Y’a quelqu’un là dedans.

Quelques secondes durant, nous nous regardâmes tout trois, conscient des implications. Fini de jouer. J’avais peur que Stéphanie ne panique, mais un bref regard me montra qu’elle avait plutôt l’air hébétée qu’autre chose – mais. Au fait. Qu’est ce que je fous là ? – et d’avoir soudain très chaud, ses joues formant deux tache d’un rose sombre sur ses joues humides de sueur. Mais pas de signe de panique extérieur. Bien.

 Stéphane posa sa main sur la poignée, tandis que la poigne de l’autre main, elle, tenait plus fermement que jamais le Sig Sauer...Un dernier regard entendu échangé dans le trio, et la porte fut vivement ouverte pour révéler un petit palier en béton, occupé par un paillasson hérissé de poils d’un rouge sale ayant connu des jours meilleurs, et depuis vraisemblablement foulé au pied par des générations de chaussures sans pitié. Après le palier, le noir, l’obscurité vertigineuse dans laquelle plongeait une volée de marche dénudée en béton. La cave.

 Une cave ; descendre à la cave. Une pièce qui a depuis bien longtemps participé aux poncifs des films d’horreur. On y enterre les grands mère, on y séquestre les gens. C’est noir, rempli de toiles d’araignées. On peut tenter de les rénover pour jeter un vernis de modernité et de confort, mais l’on sent sourdre à travers la pierre, qui seule nous sépare de la terre sombre, toute la malveillance d’anciennes divinités chthoniennes qui ne demandent qu’à se réveiller des tréfonds de la terre. Inquiétant, de descendre à cave, déjà en temps habituel. Mais alors une cave sombre d’où viennent des bruits de craquement et de raclement, dans une maison ou habitaient récemment encore une poignée de sadiques et de déments, et en une époque de cauchemar ou se relèvent les morts. Je crois que si nous n’avions pas été armés, je n’aurais jamais eu le courage de descendre ces marches grises qui me semblaient être la pente vers l’abîme sans retour. Étrangement, Stéphanie qui ne s’était jusqu’alors pas trop manifestée pour nous guider, elle qui devait pourtant au moins partiellement se rappeler de la configuration des lieux, nous chuchota, la voie étranglée, et hésitante.

  • Oui…c’est là. La…la cave. C’est là qu’ils nous avaient enfermées, c’est là que…q…

D’un geste de la main, je l’arrêtais. Nous savions le reste, inutile de rentrer dans les détails, et j’étais nerveux que ce-qui-grattait ne puisse nous entendre. Évidemment, le bruit de la porte ouverte avait déjà dû alerter qui de droit, mais ce n’était pas la peine d’en rajouter – comme le café Maxwell. Conscient que nous n’avions pas amené Stéphanie avec nous pour qu’elle joue les guerrières et que nous ne l’avions armée – actuellement d’un pied de biche – que dans l’optique ou elle aurait dû se défendre seule à un moment donné ou un autre – lorsque nous serions tout les deux « game-over » par exemple – je lui chuchotais à l’oreille qu’il n’était pas nécessaire qu’elle descende avec nous si elle ne le voulait pas ; ce à quoi elle me susurra qu’elle préférait effectivement rester en haut. Évidemment, elle pouvait toujours nous rejoindre en bas dans le cas ou le taré restant serait inopinément surgit d’une des pièces que nous n’avions pas encore explorées.

Pendant ce court échange, Stéphane en avait profité pour entrer sur le palier ; ayant trouvé deux interrupteurs – le vieux modèle, celui ou il faut soulever un petit loquet – il les avait activés et avait commencé à descendre deux trois marches. L’un des deux interrupteurs commandait l’ampoule qui éclairait l’escalier, l’autre commandait celle du sous-sol. Ce-qui-grattait était de toute façon bien au courant de notre présence à présent ; inutile d’avoir peur que l’on chuchote. Ce que je peut être bête, des fois.

 Nous descendîmes donc les escalier plutôt raide, discernant les marches grâce à l’éclairage maladif de l’ampoule qui colorait le mur de parpaings apparents d’un jaune pisseux. Chaque marche descendue augmentait ma nervosité, et une réelle sensation de boule dans le ventre et de nausée s’emparait de moi. Mais je tenais bon, et il fallait y aller, nous n’avions pas le choix. Ridicule de flancher maintenant. Qui plus est – égoïstement et lâchement je doit l’admettre – j’étais quelque peu rassuré par le fait que Stéphane descendait le premier, et qu’il ferait barrage de son corps en cas de situation soudaine de péril. Autrement dit, si ça se mettait à pulser, c’était mon ami le flic qui prendrait la première douille. Déformation professionnelle, quelque part, de toujours se mettre en premier. D’où l’intérêt, en cas d’invasion de morts-vivant dans une Europe soudain submergée par les morts en goguette, de se faire accompagner d’un policier et non pas d’un petit épicier de quartier peureux comme un lapin.

 La descente me parut assez longue, l’angoisse aidant à fausser ma perception du temps, mais il faut dire aussi que nous descendions précautionneusement, vu les marches assez raides et vu le fait que nous étions armés ce qui rendait toute chute encore plus dangereuse. Mais au bout du compte, Stéphane prit enfin contact avec le sol de terre battu, et moi tout de suite après lui. Il s’écarta d’un pas l’arme levée, ce qui me permis de me ranger à ses côté en étreignant ma hache comme si ma vie en dépendait – et pour autant que j’en savais cela pouvait bien être le cas. Quoiqu’il en soit ça y est, nous avions descendu l’abîme et atteint la bouche de l’enfer, le lieu central, le noeud de tout ces événements qui avait conduit trois jeunes femmes à être séquestrées par des maniaques et des sadiques. Nous nous attendions bien évidemment à quelque chose. A de l’horreur, à une vision éprouvante, quelle qu’elle soit. Nous étions servis au delà de toutes espérances, bien que le spectacle affreux et indécent que nous offrait la cave des damnés n’était pas exactement celui auquel nous nous étions préparés.

 La cave, une salle rectangulaire assez nettement plus longue que large, devait mesurer dans les trois mètres de large et entre sept et huit mètres de long ; elle était assez classique, lugubre, et en désordre, mais somme toute pas plus que la cave de Monsieur-tout-le-monde. Une vieille chaudière poussiéreuse qui jadis avait peut être été blanche, se trouvait dans l’angle gauche du fond de la cave.  Reposant au centre du mur de droite, un vieux réfrigérateur du même blanc poussiéreux et sali, avait été descendu pour une raison X ou Y ; il n’était pas branché et sa porte était entrouverte. Partout l’éclairage était similaire à celui de l’escalier, les parpaings froids semblant atteints de jaunisse, tandis qu’au plafond et dans les angles hauts,  adhéraient de vieilles toiles d’araignées brunies et désormais inutiles, gardant parfois quelques vestiges du cadavre racorni de leur anciennes propriétaires. Le mur de gauche, lui, était un fatras de balais, serpillières sèches et rigidifiées, sacs de ciment éventrés. Tous ces détails lugubres et banaux d’une cave campagnarde commune étaient une toile de fond appropriée pour le spectacle sanglant qui occupait le fond et le milieu de la pièce.

 Ce dernier était occupé par un corps, reposant dans une mare de sang, et baignant aussi dans le grotesque de sa situation ; le cadavre d’un homme auquel il aurait été difficile de donner un âge, vu qu’il reposait sur le ventre. De courts cheveux châtains hérissaient sa tête, et la mare de sang – d’un brun rouge noireâtre sous l’éclairage maladif – semblait s’élargir à partir du dessous de son corps. L’une de ses mains étaient crispée, ses doigts recroquevillés, tandis que l’autre reposait sous lui, comme s’il avait tenté de presser contre son ventre pour retenir quelque chose. Il n’était pas difficile d’imaginer qu’il avait fatalement été blessé au ventre et qu’il avait tenté là de retenir ses viscères ou de comprimer son ventre pour tenter de stopper une hémorragie fatale. Le détail qui le rendait grotesque, cadavre d’un ridicule exquis, c’est qu’il avait le pantalon baissé, et que ses deux fesses glabres formait deux collines stériles de chair livide pointées vers le haut. S’il n’avait pas été dans cet étang d’hémoglobine mais dans un lit d’hôpital à la place, on aurait pu croire un patient attendant un suppositoire, administré par une infirmière revêche. Ah, mon petit monsieur, j’en ai maté des plus costauds. Allons, détendez vous…

 Le grattement, lui, émanait du fond de la cave, là ou des couvertures crasseuses et des draps maculés de toutes sortes de tâches suspectes, jetés au hasard, formaient une sorte de couche chaotique, de niche sordide. C’est là qu’elle était. Assise sur ses talons dans une attitude féminine, nous tournant le dos, elle grattait. Inlassablement, elle avait l’air de tenter de griffer, mollement mais régulièrement, robotiquement, une sorte de planche de bois qui avait été posée contre le mur du fond, peut être pour absorber l’humidité. Depuis notre arrivée, notre irruption plutôt, les armes à la main, elle ne s’était pas retournée et c’était le seul son que l’on pouvait entendre dans le silence épais et tendu. Scrchhht…Scrchhht…

 Nous échangeâmes un regard avec Stéphane. Il avait l’air perplexe ; concentré, aussi. Instinctivement, il appuyait maintenant une longue visée, de son arme, visant la jeune femme assise. Peut être était t’elle simplement devenue démente ? Folle de rage, de douleur, montrant la même violence aveugle que celle dont ferait preuve un animal rendu fou à force de coups et de privation de nourriture. Elle avait alors constaté que son tortionnaire n’était plus qu’un, et qu’il avait fait la bêtise de venir la violer seul…Or à un contre un le rapport de force est déjà beaucoup plus équitable -même femme contre homme si la femme se bat avec rage et détermination –et elle l’avait tué.Ce dernier événement macabre ayant été trop pour la soupape de sécurité qui l’avait maintenue dans ce monde de douleur, elle était partie. Son esprit était parti. Ailleurs. Et depuis, son corps, lui, il grattait.

Scrccht…Schrccht…

Peut être. Rien de moins sûr. J’allais commencer à m’approcher d’elle. Imprudent. Il valait mieux être sûr de ce en quoi la situation avait évolué avant d’être à sa proximité. Si elle était devenue démente, qui sait si en voyant deux hommes inconnus, elle n’allait pas se jeter sur nous comme une furie. Qui sais si elle ne cachait pas une arme, volée à l’homme qui commençait son voyage sans retour au pays de la putréfaction, là, à un mètre de nous par terre. Qui sais si sur la seule base de notre sexe, dans sa folie, elle n’essaierais pas de nous larder des coups de cette mystérieuse arme de fortune. Qui sais ? Et si c’était l’autre possibilité, alors, il était encore plus primordial de le savoir avant d’être à sa proximité directe.

  • mademoiselle ?

C’était Stéphane. Me stoppant net dans mon avancée, juste après mon premier pas en avant. Me stoppant de sa simple voix, car j’étais maintenant curieux de savoir ce qu’allais déclencher cet appel, et, tout comme Stéphane, je retenais mon souffle, dans l’expectative. La réponse fut simple.

 Scrchht…scrchhht…

Toujours, de façon entêtée, « Mademoiselle » grattait le mur.

 Alors Stéphane réitéra.

  • « Mademoiselle ? Oh, Mademoiselle ». Puis plus fort « Mademoiselle… ? ! »…

Scrch…scr…

Mademoiselle avait cessé de gratter le mur et restait ainsi en position d’attente. Elle semblait paralysée, figée dans sa posture, sa main levée comme si elle saluait le mur. Une main dont les extrémités étaient sanglantes, dont les ongles étaient déchirés. Je ne put réprimer un frisson. On aurait pu entendre une plume tomber tellement le silence était total dans ces instants d’angoisse figée. Étions nous devenus les héros de quelques dessins fantastique d’un illustrateur de science fiction, resterions nous à jamais sur le papier glacé d’un magazine de SF bon marché comme ces pulps américain ?

 Puis le temps sembla reprendre soudain son cours, le monde ses couleurs et ses bruits, lorsque Mademoiselle enfin daigna se retourner pour accueillir enfin dignement ses sauveurs. Oh mon héros.

 Non, jamais elle ne nous sauterais au cou en pleurant de gratitude, et Stéphanie fut immédiatement propulsée au rang de « dernière rescapée de… » qui aurait fait d’elle une sorte d'héroïne et d’icône temporaire des journaux de tout le pays si tout cela s’était passé du temps de ma normalité chérie. Mademoiselle appartenait au deuxième scénario, le pire. Du moins, le plus triste – car se trimballer une démente, étant donné toutes les épreuves qui nous attendaient avec tout ce qu’elles allaient nous demander de courage, de mobilité, de réactivité, cela aurait été du suicide et donc pire à sa façon.

 A la même seconde je compris deux choses. La première, c’est que la dernière des trois filles de la cave, après avoir été capturée à nouveau, puis enfermée ici par ce type, était morte d’une façon ou d’une autre et s’était transformée en morte-vivante , elle aussi. Comme sa compagne décapitée, là dehors à quelques centaines de mètre. La deuxième chose que je comprit, c’est que cela été arrivé tout récemment. En tout cas, le type par terre avait été tué peu de temps auparavant. Peut être même un quart d’heure ou une demi-heure, voir même dix minutes avant notre arrivée. Difficile de dater avec précision, mais l’accident était récent ; la morte, en se levant, poussa un cri, un gémissement qui faisait presque de la peine. Et ce faisant, elle exposa ses dents. Ces dernières étaient parée d’une sorte de vernis écarlate, de parure vermillon qui n’avait pas encore eu le temps de se diluer dans la salive de sa bouche morte. Le sang, par terre, devait lui être encore chaud.

 Elle resta là, à vaciller quelques secondes en nous regardant d’un air assez comique, nous gratifiant de son rictus ensanglanté, la tête penchée sur le côté comme un chien qui écoute son maître. Un filet de bave dégoulinant vint mourir sur son pull d’un beige sale. Finie l’image du bon chien mignon qui penche la tête. Plutôt le dogue de bordeaux baveux, maintenant. Puis « Mademoiselle » le-molosse-zombi s’ébranla en notre direction, prenant l’attitude caractéristique de sa race maudite. Un pas aussi balancé que le bateau ivre de Rimbaud prit dans sa tempête, un bras mort le long du corps, l’autre déjà levé et tendu, les doigts regroupés en serres (ceux là même qui grattaient le mur) pour agripper fortement. Un murmure parti du ventre, des tréfonds des tripes mortes, pour signifier la faim primale et obsessionnelle qui occulte tout.

 Je restais un instant fasciné, mais heureusement pas plus longtemps que de raison. Il fallait agir, ces morts-vivants savent être soudain plus rapides à proximité direct d’une proie. Elle serait bientôt sur nous deux, je voyais son immonde tête, qui me fascinait, grossir et grossir dans mon champs de vision. Et chaque balle du Sig Sauer économisée était une balle aussi précieuse que de l’or. A moi de prendre l’initiative. Tuer ces deux-là était un sale boulot ; une avait été pour Stéphane, la deuxième serait pour moi.

J'avançais donc à sa rencontre, la hache en main, puis j’armais un coup en poussant un « han » d’effort, et de douleur car ma bonne vieille luxation ne m’avait pas encore laissé complètement tranquille, et tout objet lourd manipulé ainsi réveillait sa sensation de déchirure. Mais qu’importe. Nous devenions des guerriers, je le dit sans vantardise ni forfanterie mais c’était peut être la petite récompense de celui qui commence à apprendre à survivre dans l’enfer des morts. Oublieux donc de cette sensation de brûlure acide, j’abattais aussi fort que possible la hache – une relativement lourde cognée de pompier – d’un coup oblique qui fit un bruit mat - chtonc – en frappant Mademoiselle dans le haut de la poitrine. Joli shoot – strike – car je le vit littéralement tournoyer sur elle même d’un demi-tour complet, et elle s’écrasa face contre terre à proximité du fatras de seaux vides, de vieux balais et de serpillières sèches et raides. Alors ce fut à mon tour de remplacer Stéphane dans l’ingrat et terrible rôle de « bourreau » façon médiévale. Sauf que cette fois-ci, au lieu de décapiter, le bourreau fit un autre pas en avant, leva la hache, et l’abattit sur l’arrière d’un crâne mort caché par de longs cheveux blonds filasses sales, pour faire éclater ce dernier comme une pastèque trop mur. Et ce fut fini. « Mademoiselle » n’était plus.

 Mon regard, qui devait paraître hagard, parcouru involontairement le carnage écoeurant qui en restait. Et, si nous nous endurcissions au mal, nous ne devions apparemment pas nous endurcir sur tout. Car ce fut trop pour moi. De la bile me monta soudain à la gorge, et je retint un haut le cœur, tandis que des larmes montaient à mes yeux. Trop. C’en était trop pour moi.

 Nous avions monté cette expédition pour tenter de sauver ces deux jeunes femmes ; cela peut sembler dérisoire alors que partout sur la surface de ce monde pour autant que nous pouvions en juger, des gens mourraient dans des conditions atroces. Mais comme je l’ai déjà expliqué, cela nous permettait d’agir, de faire quelque chose, de nous raccrocher à cela. Rien qu’à cela. Mais même cela nous avait été retiré, et au final nous avions tout les deux dû être les bourreaux de deux jeunes femmes, qui certes étaient devenu des monstres, mais qui étaient encore bien vivantes il y a peu, et dont l’âge me rappelait Katalina. Ma Katalina, dont je ne savais rien, dont je ne saurais peut être plus jamais rien. Leurs exécutions avaient été brutales, sans grâce, lapidaires. Elles avaient connu le pire de l’humanité avant d’être emportées elles aussi comme tant d’autre dans la tourmente finale. La digue de mes émotions se rompu enfin, libératrice, et, jetant la hache qui me semblait alors l’objet le plus dégouttant du monde, je m’affaissais enfin sur le tas de vieilleries du mur gauche, cachai la tête entre mes mains, et laissai libre court à mes sanglots.

 Ils durèrent je ne sais combien de temps, mais c’est finalement la douleur de mon côté droit qui me sorti de ce gouffre de peine amère. Bougeant légèrement, la douleur ravivée par les deux puissants coups de hache me cuisa, et je ne put réprimer un petit aïe de douleur. Sortant ma tête de mes mains, je constatai que Stéphane, lui, gardait la tête baissée. Ce n’était pas de la gêne pour moi, je crois qu’il comprenait et respectait ma peine ; je crois qu’il en éprouvait une immense, également, mêlée de frustration de n’avoir rien pu faire. La tête baissée était plutôt un signe de respect. Vieux frère, compagnon d’armes. Respect commun et mutuel pour notre douleur, et pour cette jeune dame que nous n’apprendrions jamais à connaître. Mademoiselle.

 Reprenant avec lassitude la hache, je m’adossais au mur sale pour me relever et laissai mon regard s’égarer sur l’autre cadavre. Un détail que je n’avais pas vu accrocha alors mon regard. Ayant roulé à quelques distances de son bras gauche, celui qui n’était pas pressé contre son ventre sous lui, se trouvait une canette de bière dans sa bouteille de vert fumé vert foncé. Couchée, elle contenait encore une petite dose de liquide, de bière éventée qui stagnait. On aurait dit la bouteille d’un collectionneur qui attendait son bateau, mais la version pour alcooliques, et en modèle réduit. Je m’imaginais alors le scénario. Voilà ce qui s’était passé.

 Quel crétin. Il avait remit la main sur l’autre fille, qui n’avait pas voulu s’enfuir dans la forêt. Elle ne s’était probablement que mollement défendue ; j’avais une petite idée de pourquoi. Puis il l’avait descendue, de nouveau, dans cette cave de malheur. Attendant le retour de ses collègues, déjà peut être bien éméché, il avait dû rôder dans la fermette, trouver le temps long, et s’était enfilé quelques bières et peut être avait t’il même commis la stupide bêtise classique d’aller la mélanger à autre chose – rotant en vacillant dans sa débilité crasse amplifiée par l’alcool en se disant à voix haute et en s’adressant à un copain imaginaire « oah les copains vont pas être jouasse de voir tout ce que je m’suis enfilé en juif… » suivi d’un rire de gorge bête et méchant. Un langage verbal et un langage gestuel à la hauteur d’élévation spirituelle du personnage, certainement. Rôdant de nouveau jusqu’au réfrigérateur, il s’était prit une énième bière avant d’aller s’amuser un peu. Avec elle toute seule. Il l’avait pour lui tout seul. Cool.

 Entre temps, Mademoiselle était morte. De quoi…Conjonctures. Rupture d’anévrisme ? Un quelconque mal foudroyant ? Morte de chagrin et de lassitude de vivre, si cela est possible. A moins que… à moins que bien avant d’être emprisonnée avec Stéphanie et « Jane Birkin », Mademoiselle n’aie été mordue par un mort. Cela me semblait une hypothèse plus que très probable. Pour ce que cela changeait, maintenant, je n’allais pas aller l'ausculter maintenant, mais l’hypothèse était séduisante. Cela expliquerait sa mollesse, son manque d’énergie et de volonté de fuir, sa passivité lorsque le dernier du gang de violeur l’avait de nouveau séquestrée.

 Elle était déjà atteinte de cet étrange apathie, de ce manque d’appétit de vivre, de ce manque d’appétit tout court (avant la boulimie carnivore dévorante de l’après-mort) qui précède chute de température et de tension, hypothermie, ralentissement du rythme cardiaque…mort cérébrale, mort tout court, puis le retour.

 Elle était d’ailleurs revenue quelques temps avant d’entendre la cave s’ouvrir, la haut. Crétin premier le roi des imbéciles, lui, descendait déjà la cave. Complètement emporté par le tourbillon aveugle qui tempêtait dans son crâne dont toute pensée cohérente (s’il en avait jamais eu) avait été chassé par l’éthylisme, ce…ce pignouf était descendu, la canette de bière à la main, le pantalon déjà descendu, manquant trois ou quatre fois de se casser la figure dans les escaliers, rigolard, caricature de ce qu’il y a de plus glorieux chez l’homme, bidochon violeur, loubard ivre et complètement abruti. Forcément, qu’il était rigolard. Elle s’était montrée si docile. Si passive, si peu rebelle. Elle allait peut être même se montrer gentille avec lui. Il avait qu’à lui promettre de la relâcher, après. Sans rien en faire, évidemment…qu’elle est coooonne. Il s’en vanterait ensuite devant les copains, qui en seraient vert de jalousie.

 Mais aucune petite gâterie ne l’attendait en bas. Cueilli dans toute sa bêtise et fauché dans le ridicule le plus absolu de sa sordide situation, il était mort mordu au ventre ou au bas ventre par une morte dont la vision abominable l’avait peut être dégrisé au dernier moment. Pour qu’il se rende compte de ce qui lui arrivait, et de comment il allait mourir, et de ce à quoi ressemblerait son cadavre. Je le lui souhaitais, à ce damné de la cave.

 Brutalement, je fut tiré de mes rêveries rétrospectives, de mes hypothèses pensives sur ce qu’avaient été les derniers instants de mademoiselle et de crétin premier, sursautant littéralement sur place comme le dormeur tombant du lit en plein sommeil paradoxal, par la voie de Stéphanie. Aucune controverse, cette dernière était rauque, rendue grave, étranglée, une voie de gorge ou l’on sentait une angoisse, un sentiment d’urgence, pressant.

 - « Hé, les gars…Hé, les gars ! Y’a un problème, là. Vite. Vous devriez remonter vite pour voir ça. Vite. Vite ! »

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la table des matieres.


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