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alone in the Dead

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alone in the Dead
8 janvier 2008

Le Refuge


Ce matin là, j'ouvrais les yeux dans la chambre que je m'étais choisie, au deuxième étage, et qui se trouvait juste en face de celle ou dormait Stéphane. J'étais en sueur, le dos collant et plein de démangeaisons en raison de cette même sueur moite qui avait dessiné une auréole sombre sur les draps déjà passablement crasseux. Immédiatement – je suis du genre à me réveiller assez rapidement – je m'asseyais sur le bord du petit lit à une place en métal peint revêtu d'une couverture brun jaune et d'une couette bigarrée. Jetant un regard distrait sur la chambre en désordre et son parquet de bois foncé, je me senti cruellement mordu par ce sentiment de normalité. Ce goût, cette fragrance, cette saveur d'avant. Il était 10h12 du matin – du moins les cristaux liquides rouges du radio réveil le prétendait - et le même soleil d'hiver que celui qui perçait la veille entre les grilles de la station essence venait maintenant pailleter d'or la poussière en suspension, drapant de beauté irréelle la banalité et l'insignifiance. Quelques secondes de beauté, de paix. J'aurai pu m'imaginer être de visite chez l'un de mes proches en province, me réveillant dans le lit de la chambre d'ami, après un repas tardif en famille. Ma mère m'attendrait en bas des escalier en souriant, préparant un petit déjeuner et m'accueillant par l'un des surnoms affectifs de mon enfance comme si je n'avais pas 32 ans. Comme avant. Avant tout ça.
Des rêveries. Je savais que dehors les morts étaient là, patients, attendant leur heure. La seule chose qu'ils sachent faire, mis à part manger, c'est attendre de manger.
  Cela avait été une curieuse expérience, à la vérité, que de s'endormir dans de telles conditions. L'esprit écartelé entre deux sentiment complètement opposés, celui de la sécurité, et celui paradoxalement du danger terrifiant. Se tourner, encore, encore et toujours, dans la pénombre, à se demander laquelle des deux voies de son esprit écouter. Celle qui claironne que les murs et les barricades sont là ? Elle me disait que jamais ils ne parviendraient à rentrer. Et que même dans cette hypothèse, il était peu probable qu'ils sachent monter l'escalier. Que je les entendrais. Que j'aurais le temps de barricader la porte de la chambre. Ou fallait t'il écouter l'autre, qui me susurrait avec un plaisir évident que nul besoin était de s'endormir puisque le cauchemar était réel ?. Celle là me persiflait que j'allait peut être n'être éveillé en sursaut que pour jeter un dernier regard sur ce monde , et que cette dernière vision serait les visages immondes et terrifiants des morts errants et cannibales qui seraient parvenus à entrer et me cueilleraient en plein sommeil, hébété, horrifié, torse nu et impuissant. 
  Finalement, mes élucubrations nocturnes, arbitrées par le ululement d'une chouette – son ancestral, gothique et  envoûtant devenu rare, à plus forte raison pour un citadin  – avaient fini par trancher en faveur de la première voie et c'est dans un relatif sentiment de sécurité que je m'étais enroulé dans les draps pour sombrer dans un sommeil sans rêve. Tendant mon oreille pour tenter de distinguer si je pouvais entendre leurs lamentations si particulières, n'entendant rien d'autre que la chouette et ses appels épars. Jusqu'à mon réveil dans cette chambre campagnarde dorée par le soleil matinal, et son sentiment de douceur de vivre incongru au vu des circonstances réelles.
  Evidement, personne ne pouvait savoir, ni dans notre petit trio ni chez aucun autre membre de notre espèce qui soie encore en vie, de quoi serait fait le lendemain. Mais pour l'instant, la vie continuait, nous avions échappé au pire et nous étions dans une relative sécurité ;  et même dans un certain confort puisque notre forteresse inexpugnable était une bâtisse campagnarde barricadée. Avec – mais pour combien de temps ? – encore de l'électricité, un réfrigérateur en état de marche, de la nourriture. J'avais même une cartouche de mes précieuses sucettes à cancer.
Je ne sais pas comment les autres, dans leurs mondes intérieurs, parvenaient à gérer et intégrer des circonstance aussi effroyables avec leurs promesses de mort abominables – mangé vif par des cadavres - en cas de négligence de notre part ou en cas tout simplement de malchance mais quant à moi, me raccrocher à ces quelques petites joies de l'existence encore possible dans le marasme ambiant m'aidait grandement ; avoir chaud, avoir de quoi remplir nos estomacs, des cigarettes, et des murs nous protégeant pour l'instant de l'horreur froide et morte de dehors . Sans aller jusqu'à parler d'hédonisme et de carpe diem, cueillir le moment présent, et prendre le peu de bon qui restait quand il venait était un moyen plus qu'honorable pour apprendre à gérer cette nouvelle vie de fuyard itinérant en danger sur les routes d'une France apocalyptique submergée par les cadavres. Et j'allais commencer pas plus tard que tout de suite en enfilant mon jean, mon pull, et en descendant faire du café. Du café. Une substance qui après toutes ces années d'addiction m'était devenue absolument incontournable le matin. Je me faisais d'ailleurs la réflexion que si aucune solution n'était trouvée miraculeusement pour éradiquer mondialement ce fléau, et que nous étions bel et bien condamné à vivre en petits ilôts de résistance barricadés ici ou là, viendrait le jour (fatidique) où ces denrées viendraient à manquer. Et le jour ou je n'aurais plus de café, je crois que les matins au réveil il serait difficile de me distinguer d'un zombi, sans faire de mauvais esprit.
  Une fois sommairement habillé – je devais avoir l'air d'un sac mais je l'ai déjà dit sans café il ne fallait pas trop m'en demander le matin – j'ouvrais la porte de ma chambre et sortais sur le palier, faisant grincer son parquet de bois sombre. Le premier étage, assez classiquement, était surtout composé de trois chambres, la mienne, celle de Stéphane qui lui faisait vis-à-vis. Puis, à côté de ma chambre, une troisième, une chambre d'enfant ou d'ado de sexe féminin au vu des posters " star academy " et " Lorie " accrochés au mur, refuge d'une jeunesse perdue qui avait échoué naturellement à Stéphanie. Puis, pour finir, faisant face à la chambre de Stéphanie, une petite salle de bain possédant également des toilettes. La chambre de Stéphane était légèrement entrouverte.
  Forcément, inéluctablement, une porte entrouverte est toujours un appel à la curiosité, mais les circonstances actuelle expliquaient mon geste et me donnaient un alibi. Il fallait que je sache si tout était " OK " pour mon vieux copain d'adolescence. Je poussais donc la porte, discrètement, pour voir de quoi il en retournait. Peut être était t'il déjà en bas ?
  Non. Il dormait toujours. Et il n'était pas seul.
La gamine l'avait rejoint au lit. Elle s'était endormie sur son épaule, et sa chevelure couleur de châtaigne s'étalait assez joliment dans le lit en captant le même éclat pailleté d'or de ce joli matin hivernal. Son visage était celui d'une personne profondément emportée dans les contrées mystérieuses de Morphée et, peut être, du monde intérieur onirique auquel son sommeil l'avait convié. En d'autres termes, qu'elle soit en train de rêver ou simplement de dormir, son sommeil était profond et paisible et sa respiration régulière. Stéphane, lui, avait posé un léger sourire sur les lèvres, sa tête légèrement inclinée de côté. Beaux sous cette lumière matinale. Paisibles, angéliques. Touchants. Oui, c'étaient une vision assez touchante ; pour quelqu'un de sensible. 
  J'avais envie d'apposer l'adjectif  " mignon " à cette scène,  et je n'avais pas envie de me poser des questions tels que d'autres l'auraient fait, ni l'envie de faire des suppositions graveleuses, comme d'autres encore (à moins que ce ne soit les mêmes) de seraient empressé de faire. Car je m'en fichais. De toute façon, Stéphanie était bien jeune comparée à Stéphane, et encore mineure, bien que pour peu de temps. Stéphane, lui, était comme moi au début de la trentaine. Un âge idéal, ceci dit, pour séduire une jeunette appréciant des hommes mûres et adultes tout en étant encore jeunes. Il avait certes dépassé l'âge pour pouvoir être son " grand frère " mais avait atteint plutôt celui qu'aurait eu un jeune oncle, mais des couples ayant cet écart d'âge existaient, et le fait qu'elle soit mineure ne me choquait pas vraiment, eu égard au fait qu'elle avait tout de même dix sept ans, et de toute façon les règles lois et règlements n'avaient plus trop voie de cité en ces heures apocalyptiques. Qu'elle soie juste venu chercher de la chaleur humaine et du réconfort, ou qu'il y aie autre chose derrière ne me regardait pas. Ils étaient touchants, tout les deux, et c'est tout ce qui comptait.
  C'est avec le sentiment d'une réelle tendresse que je refermais la porte et descendait les escalier raides qui menaient à la cuisine en laissant dormir encore un peu ceux qui étaient devenus mon frère et ma petite sœur d'infortune.
     Ils descendirent l'escalier, ensembles, environ trois quarts d'heures après moi. Lorsque Stéphanie me fit la bise, je fut de nouveau saisi par cet étrange sentiment de banalité, de vie d'avant. On aurait dit une petite cousine qui viendrait taper la bise matinale à son cousin Parisien venu s'inviter quelques jours à la campagne, avec son incontournable question t'as-bien-dormi. Si vous commencez à connaître votre serviteur, vous ne serez pas étonné d'apprendre que j'étais en train de fumer une cigarette sur l'une des chaises en Formica de la cuisine, devant une tasse contenant les preuves caramélisées de ce qu'elle contenait peu de temps auparavant, à savoir du café noir fortement sucré.
  Ils prirent leur petit déjeuner en silence, maculant la table de miettes provenant d'un paquet de biscotte déniché dans l'un des meubles de la cuisine, sans faire allusion au fait que je les avait trouvé ensemble au lit, chose à laquelle je ne fit pas allusion non plus. Souvent, l'un de nous regardait en direction de la fenêtre de la cuisine, tentant d'apercevoir à travers les rideaux si quoi que ce soit bougeait, là, dehors dans le froid et le soleil d'hivers. Rien. Les zombis, pour reprendre l'expression d'un célèbre chanteur Suisse, nous  laissaient " déjeuner en paix ". 
  Le reste de la matinée fut à l'image de nos personnalités respectives. Flic, homme d'action et de terrain, débordant d'énergie, d'esprit pratique et d'entreprise, Stéphane fit un tour du propriétaire si j'ose m'exprimer ainsi, pour voir ou se trouvait quoi et quoi pouvait servir à qui. Bref, il farfouillait et faisait des trucs à lui, du genre monter et descendre sempiternellement les escaliers – il descendit même de nouveau dans cette maudite cave de l'enfer ou pourrissaient deux cadavres – pour en ramener en marmonnant de petits trésors tels que mini-lampes torches,  cartes routières de la région, piles encore dans leur emballage – y compris des rechargeables. Remontant aussi des planches, supports de futures barricades en cas de nuit " agitée " et autres bric à brac plus ou moins utile, le tout de toutes taille et formes, toujours en se parlant à lui même en vue d'un plan, peut être, dont seul lui avait le secret. Il échafaudait , sans doute, différentes hypothèses de situations de danger, et tentait de trouver les moyens d'y faire face.
   Pour ma part, j'estimai qu'il était déjà bien suffisant que nous ayons pour l'instant un rempart contre les hordes de morts du dehors, que nous soyons solidement barricadés, avec de la nourriture, et toute son agitation me semblait vaine. Conscient moi aussi que tôt ou tard nous serions obligés de partir lorsque les réserves de nourriture seraient épuisées ou avariées, mais estimant que rien ne pressait dans l'état actuel des choses, je ne prenais pas part à ses recherches. Plus réfléchi, contemplatif, et calme, je préférais caser la matinée à tenter d'avoir des nouvelles enfin concrètes de ce qui avait bien pu se passer ces dernières quarante-huit heures sur le reste de cette bonne vieille planète, tandis que Stéphanie allait de l'un à l'autre, accompagnant et assistant Stéphane dans ses diverses opérations, mais le délaissant parfois dix minutes pour venir s'asseoir à ma proximité et participer aux miennes.
  Ni en haut des escaliers ni en bas, nulle part je n'avais trouvé de micro ordinateurs. Dommage, cette fenêtre sur le monde, pourtant devenu habituelle dans la plupart des foyers faisait défaut ici. Peut être le coin était t'il trop paumé pour bénéficier de l'ADSL et, du coup la famille n'était pas assez motivée et intéressée pour acheter une bécane, à moins que cette dernière n'aie été en réparation au moment ou tout avait commencé. Aucun moyen de le savoir. L'autre fenêtre ouverte sur le monde, à savoir la télévision, elle, fonctionnait sans problème. Je me rappelait d'une grosse TV cathodique installée dans le petit salon par lequel nous étions rentrés, et je décidais donc après le petit déjeuner café noir-biscottes d'aller m'installer dans le canapé, de l'allumer, et de voir ce que cela donnerait. La pièce était très froide ; faut t'il rappeler que nous en avions brisé la fenêtre, depuis solidement barricadée par Stéphane, mais pas suffisament semble t'il pour empêcher l'air frais de Janvier de venir me faire grelotter. Cela n'entama pas ma résolution ; allumant le chauffage électrique, prenant place dans le grand canapé lie-de-vin, je me saisissai de la télécommande, puis allumait enfin la télévision.
  Pour contempler un spectacle que je n'avais pas vu, à la réflexion, depuis bien longtemps, et qui me ramena immédiatement aux après midi que je passait devant la télévision avec ma frangine à l'époque ou nous étions tout bambins et ou les doigts d'une main suffisait amplement pour dénombrer le nombre de chaînes disponibles, et cela même si agressé par un mort vivant comme ce clochard dans le métro, il n'en restait plus que trois, de doigts. A cette époque, celle des après midi ensoleillés de mon enfance, après l'école avec les dessins animés de la " génération casimir ", les pannes étaient fréquentes et il nous était souvent proposé une mire sous laquelle circulait un message d'attente. Je me rappelle que cette étrange boule bariolée m'intriguait énormément, à l'époque. Plus tard, elle ne m'intriguait plus. Elle m'agaçait. A présent, elle m'en disait déjà bien long. Plus de programmes télévision. Le monde avait basculé sur son axe, folie et cauchemar s'y répandait, toujours plus noire et épaisse, tel une marée noire sur la houle marine. Elle nous avait d'ors et déjà prit la télévision normale, pour la remplacer par une mire sous laquelle circulait un message écrit de blanc, qui nous signalait que notre chef de l'état prendrait la parole le jour même, à 12 heures. Soit une demi-heure plus tard. Je m'attendais à ce que le message soit remplacé par d'autres, des " Flash Infos " qui m'apprendrais que des émeutes entre survivants avaient fait 150 000 morts au Nicaragua ou que plus aucune nouvelle ne nous parvenait des îles Caïmans, ou encore que toute la région de Pittsburgh et de ses environs avaient été décrétées comme sinistrées, l'armée US et sa loi martiale y ayant déployé une " quarantaine " et des barricades contre les morts. Ce genre de chose. Mais hélas, rien pour l'instant. Juste le même message, encore et toujours. Il me fallait attendre.
   L'allocution de notre président fut, bien entendu, ponctuelle. Il était très précisément midi à ma propre montre lorsque fut soudain mis fin à cette demi-heure d'attente ponctuée de nerveuses cigarettes.  La boule bariolée fit  place à une vue du palais de l'Elysée, tandis que le silence faisait, lui, place à l'hymne à la joie de Beethoven. Quelle ironie, quand on y pense. Ce n'est d'ailleurs pas une mine réjouie que présentait le chef de l'état lorsque le Palais de l'Elysée s'effaça de l'image pour révéler son plus illustre occupant.
  Les mains croisées sur son ventre, bien droit dans son impeccable costume gris anthracite, la mine extrêmement grave, le chef de l'état prit immédiatement la parole, commençant par son sempiternel " Françaises, Français, mes chers compatriotes… ".
Attirée par la musique et la voie célèbre, Stéphanie fit soudain irruption dans la pièce, pendant que j'étais hypnotisé par l'écran. Elle s'assit à moitié, non loin de moi, sur l'un des moëlleux accoudoirs du sofa. Nous étions donc tout les deux lorsque le président, continuant son allocution, asséna " La situation dans notre pays, ainsi que partout ailleurs en Europe et dans le monde a cessé de n'être que préoccupante. Elle est extrêmement critique ".

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la table des matieres

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10 octobre 2007

"the night of the living dead"...

Night_Living_Dead

Le cri de Stéphanie nous avait fait sursauter tous les deux. L'adrénaline que nous avions sécrété en quantité ne faisait plus effet et cédait la place peu à peu à un sentiment de défaite mêlé à celui de la crainte. Que se passait-il en haut?...


Nous nous regardions encore un peu abruti, pris entre les relents de peur, les vagues restes de colère et surtout la peur de l'inconnu, de la morsure qui arrive toujours bêtement dans les films. Sauf que là, c'est le monde réel et que l'on a pas de « crédit », « d'extra-ball » ou de vie en plus.


Je pris tout de même sur moi afin de me précipiter jusqu'au rez-de-chaussée. Et là je fus un instant cloué sur place. Vous êtes-vous déjà imaginé au début du film « il faut sauver le soldat Ryan » au moment où les ponts des barges se baissent, et que subitement tout devient chaos, que votre espérance de vie passe de quelques heures à une poignée de secondes en à peine un instant. Disons que pour résumer je ne m'attendais pas à ça. Nous avions laissé la porte ouverte derrière nous et comme dans tous les films d'horreur, la mort arrivait sur nous  en masse.


Stéphanie était dans un état de panique absolue, prostrée sous l'escalier avec un tonfa à la main alors que par l'issue que nous avions laissé entrouverte, la mort putride et ses innombrables incarnations se déversaient à flots continus.


« Putain!! Will!! Putain, magne-toi le cul... Ca craint ici!!!... Bordel de M.. » criais-je sans me retourner. J'entendis quelques microsecondes plus tard un hoquet de surprise derrière moi. C'était Will qui lui aussi pestait tout ce qu'il pouvait, laissant tomber sa cigarette de stupeur.


- Merde, ça y est on va crever mon pote... Me dit-il d'un air résigné.

- En tout cas, ils ne l'emporteront pas au paradis... Ca je te le jure!!!

- En enfer...

- Quoi?

- En enfer... Ils ne l'emporteront pas en Enfer!... »


D'un accord commun, sans qu'aucun plan ne soit élaboré, nous fonçâmes avec synchronisation au devant de l'armée des morts et de ses esprits cannibales. Je crois que c'en était trop pour nous deux. Un voile flou descendit sur nos perceptions, altérant les images et les sons de la bataille qui se tenait dans cet endroit perdu au milieu de nul part.


Le reste n'est que suite de coups de hache et tirs de pistolet, perte de membres, vol de lambeaux de peau pourrissante, explosion de viscères nécrosés et crânes éclatants comme des melons trop murs. Cette danse mortelle que nous menions avec Will semblait intemporelle, loin du lieu dans lequel s'était réfugié notre esprit. En tout cas jusqu'à que les portes physiques et tangibles de la salvation se soient refermées nous laissant seuls et saufs, isolés de la mort qui marche pour quelques futiles journées de plus.


Quelques temps plus tard nous reprenions enfin nos esprits, enfin, je dis quelques temps sans savoir s'il s'agissait de secondes, de minutes ou de dizaines de minutes...

Will était couvert de lambeaux de peau et de sang séché, des amas de chair sanguinolente lui dégoulinaient des membres supérieurs. Je devais être dans un état similaire rien qu'à sentir le coté « gluant » de ces abjectes matières qui me collaient la peau. Le vestibule était couvert des offrandes aupines laissées par nos adversaires en déroute. Ils étaient néanmoins toujours là, des dizaines, que sais-je peut être des centaines de bouches attendant d'être nourries, guettant la moindre faiblesse de notre part.


Il fallait que l'on s'organise.


« Will aide moi!!... » Dis-je en me dirigeant au plus vite vers le buffet qui siégeait non loin de l'entrée. « Je pense qu'il va falloir que l'on blinde les points d'accès, mon ami. Il me semble qu'il y a la porte d'entrée qui, a priori est fermée, peut être une ou deux portes fenêtre et cette porte là!! Il va falloir que l'on se bouge au plus vite pour réfléchir à tout ça, quitte à utiliser les clous de la sainte-croix pour barricader ces putains de portes!! »


Action-réaction, cela se déroulait comme dans un mauvais rêve sorti de série Z, je jonglais entre les points d'accès que nous avions identifié. Notre chance (enfin...) était que les volets des portes-fenêtres étaient clos. Cela permettait au moins de se concentrer sur les portes principales.


Will finit par trouver ce qu'il fallait. En fait, tout se trouvait à la cave. Après le reste se fit rapidement, comme dans « Je suis une légende » de Richard Matheson, sauf nous étions trois, et que les « vampires » étaient cette fois les légions d'hadès venues pour nous inviter à participer à leur festin.

Ensuite, toujours en action, on nettoya les restes de nos adversaires pour éviter l'odeur et l'on mit tout à la cave que l'on scella.

Puis ce fut le moment du dernier tour d'inspection de la maison qui était devenue bien gré mal gré la nôtre. L'activité et l'excitation retombant, nous décidâmes de passer la première vrai-nuit de sommeil depuis des lustres et nous prîmes chacun un lit à l'étage. Le sommeil de morphée nous attaqua immédiatement sans appel, pour reprendre le surcroît de force qu'il nous avait allouer quelques heures auparavant. Toujours est-il que l'on allait s'endormir pour la première fois sans que l'un de nos deux yeux reste ouvert à guetter.


... La première erreur peut-être?


... Comme pour répondre à cette question dans les méandres du sommeil qui m'abrutissait, je fus pris de panique à la sensation étrange que quelqu'un se trouvait dans ma chambre et s'approchait de moi. Ça y est, j'allais mourir. J'avais pêché par excès de confiance, ou manque de prudence. Nous en avions oublier un peut être....


... Le néant...


... Mais toujours pas de douleur...


... Des draps arrachés...


... La sensation d'un corps chaud contre moi... Stéphanie... qui me colle pour se rassurer tout en m'ayant flanqué la trouille de ma vie.

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la table des matieres.

27 août 2007

La chanson de Jane et Mademoiselle.zombie, survival, morts vivants, invasion, walking dead

zombies




J’étais resté quelques instants comme fasciné par la macabre apparition, ressentant un mélange de chagrin et d’intérêt. Chagrin, car elle n’aurait jamais le loisir de savoir que nous avions déjà envoyé ad patres deux de ses tortionnaires. Intérêt car nous avions entendu l’histoire de cette jeune femme et  de ses déboires ; cela lui avait donné une réalité, une présence dans mon esprit car elle avait été le personnage d’un récit que l’on m’avait conté, et ce personnage je le rencontrai maintenant en vrai. Ou du moins ce qu’il en restait. Aucune équivoque sur ce qui l’avait tué. La blessure au ventre aurait peut être été récupérable dans un délai court après qu’elle aie été infligée – peut être je dis bien. Peut être pas. Je ne suis pas médecin après tout. Mais bien que je ne sois aucunement un monsieur en blouse blanche soumis au serment d’Hippocrate j’en savais assez, bien assez, pour savoir qu’au niveau du cou, une telle blessure ayant tranché la veine jugulaire était sans appel. En revanche, de toute évidence les morts ne l’avaient pas « finie ». Et s’étaient désintéressé de sa carcasse. Pour quelqu’un d’autre ? A moins qu’elle n’aie eu le temps dans les derniers soubresauts de la vie de s’arracher à eux et d’aller mourir plus loin, là ou ils ne pourraient continuer de saccager son corps. Je n’en savais foutre rien, et nous n’en saurons jamais foutre rien. Mais de toute évidence cela réglait une partie du problème ou du dilemme. Nous étions partis dans l’optique de sauver deux jeunes femmes sans réellement savoir par laquelle commencer. L’une s’approchait désormais de nous,  faisant craquer les brindilles d’un sous bois froid et gris, les deux billes de porcelaine bleue de ses yeux désormais vidés du soleil de sa jeunesse, privés de la compréhension de leur univers. Néant. Tristesse.

 

 Et aucune peur. Les experts n’ont jamais su réellement définir si l’on s’habitue à la peur à force de côtoyer l’horreur, ou si au contraire elle s’amplifie et grossit jusqu’à emporter l’esprit. Dépend peut être des individus. Mais il est vrai qu’après avoir côtoyé de si prêt la mort et les morts – en particulier ceux qui se relevaient en masse après avoir dévoré les deux loubards violeurs – je n’éprouvais rien à voir cette jeune morte approcher, rien d’autre en tout cas que cette pincée de tristesse et ce vague intérêt, maintenant retombé. Maigre, flottante dans les vestiges d’un pull over bleu sombre déchiré d’ou sortaient ses entrailles, des brindilles dans ses cheveux, elle avait de faux airs à l’actrice Jane Birkin quand elle était jeune, avec ses longs cheveux lisses sa maigreur et ses yeux clairs  – je pense qu’ils devaient déjà être bleus avant que la mort ne les voile. Somme toute, un zombie plus pitoyable qu’autre chose. Si l’on exceptait la béante plaie du cou, et les viscères apparentes, elle aurait eu l’air d’une sorte de junkie qui viendrait de prendre le fix de sa vie et planerait en déambulant dans les campagnes.

 C’est d’ailleurs du calme et de la détermination, et aucune inquiétude, que je lu dans les yeux de Stéphane lorsque nos regards se croisèrent. Il prit son temps pour calmement assurer sa prise sur la hache qu’il avait trouvé dans la station service, puis pour avancer vers la défunte à pas mesurés. Evidemment. Il aurait été de la première stupidité d’utiliser une arme à feu au son de tonnerre dans des sous bois éventuellement hantés de ces revenants livides, et à proximité d’une maison dans laquelle nous allions certainement avoir affaire à des vivants tout aussi sinistres à leur façon.

 Je prit alors Stéphanie contre moi et je la serrais, en lui chuchotant d’une voie apaisante, le temps que Stéphane finisse son affaire. Il s’y prit de manière très professionnelle, et ce fut vite fini. Il la déséquilibra d’un premier coup puissant, puis pour être certain du résultat abattit la hache pour décapiter la jeune morte. Un spectacle écœurant, mais je commençais à pouvoir affirmer « j’en ai vu d’autres ». Ouais, j’en ai vu d’autres mon gars. Un vrai vétéran de l’ère des zombies. Ca vient assez vite, finalement. On a assez peu le choix, il faut dire.

Néanmoins, voir une jeune femme trucidée ainsi, séparée en deux comme une manante du moyen âge amenée à la hache du bourreau, le rôle de ce dernier étant tenu par mon ami policier, était tout de même éprouvant. Ca  m’avait collé de sales nerfs. Je me bénit moi même une fois de plus d’avoir amené autant de cigarettes ; j’en grillai d’ailleurs une immédiatement après avoir relâché la gamine, les mains un peu tremblantes. Tout en maudissant le jour futur ou je n’en trouverais plus nulle part.

 Nous n’avions plus de raison précise de rester ici à proximité de la bâtisse, et certainement pas le temps de réciter une oraison funéraire pour l’inconnue tombée dans les sous bois pour ne plus se relever. Elles étaient deux, et la deuxième était peut être encore en vie. Nous considérions comme un devoir moral d’aller voir ce qu’il en était ; je pense que c’était parce que nous avions besoin de nous raccrocher à quelque chose pour ne pas tomber dans la démence nous même. Et plus rien à voir avec l’envie de jouer les héros comme dans les histoires de notre enfance ou les jeux de rôles que lui et moi prisions tellement. Un tel désir, aussi puéril, n’aurait pas résisté à l’épreuve du temps et aurait vite fait place à une seule constatation égoïste de survie. Plus rien à voir avec la testostérone. Tout cela n’avait servi que de booster. Là, nous étions déterminés. Et c’est avec cette même détermination que nous quittâmes le pâle sous bois pour gagner la bâtisse.

 Elle n’avait rien de réellement remarquable ; une vieille ferme réaménagée, de deux étages. On y accédait par un petit chemin de terre, et elle n’était pas entourée d’une  clôture. La fermette était sans doute en cours de rénovation pour devenir une agréable maison d’habitation, et elle avait dû être habitée peu de temps avant l’holocauste des morts, tel qu’en témoignaient certains signes. Des rideaux blancs translucides de cuisine, visiblement neufs, aux motifs de dentelle compliqués, cachant les fenêtres les plus proches de la porte d’entrée. Un jouet d’enfant – une petite brouette jaune et orange fluo tachée de boue et renversée dans la cour, prêt de la margelle d’un vieux puis. Et un abri couvert de tôle ondulés, attenant à la droite de la ferme, rempli de stères de bois de chauffage recouvertes de bâches sales. La cour n’était pavée que par endroits, et la terre sombre gorgée d’eau apparaissait un peu partout devant la bâtisse, tandis que ses côtés latéraux semblaient envahis d’herbes folles qui elles par contre, inspiraient un sentiment d’abandon et de ruine comme si les propriétaires avaient décidé de soigner l’extérieur de leur acquisition campagnarde en dernier. De toute façon, c’était le cadet de leurs soucis à présent. Pas de garage apparent, ce dernier devait se situer de l’autre côté de la bâtisse ou alors, ils devaient se garer dans la cour de derrière. Et pour autant que nous puissions en juger, pas de lumière.

Ne me rappelant plus très bien si Stéphanie avait donné un quelconque détail le confirmant ou pas dans son récit, je lui demandai en murmurant si il y avait bien eu de l’électricité du temps de sa captivité. Elle me répondit d’un juvénile et bien peu littéraire «  ben ouais ».

 D’accord. Donc soit ils étaient partis, soit ils étaient dans cette fameuse cave. Personne dans l’entrée ou dans la pièce attenante que je supposais être une cuisine, au vu des rideaux. Les autres fenêtres de la devanture étaient condamnées par des volets en bois sombres refermés. Aucune lumière n’en filtrait non plus. Une dernière possibilité eût été qu’ils n’aient pas allumé la lumière, mais nous avions dépassé les 17 heures, et en ce mois de janvier maudit il faisait déjà probablement très sombre à l’intérieur. Alors, comme ces loubards n’avaient pas trop le soucis de savoir de combien serait la facture d’électricité - ah, normalité chérie, si nous avions su à l’époque combien il était bon de recevoir une facture d’électricité - cela me semblait fort peu probable.

J’étais un peu perplexe quant à savoir comment nous allions pénétrer dans la bâtisse, mais je laissais ce genre de considération techniques – qui m’ont toujours exaspérées – à mon pragmatique ami le flic car comme chacun sait un bon flic connaît les techniques de voyous à moins qu’il ne lui même un peu voyou. Je supposai qu’il avait un plan, car depuis le début de nos aventures j’étais toujours parti du principe que Stéphane avait un plan, ce qui nous avait jusqu’à présent pas trop mal réussi, sauf lorsqu’il nous avait encafardé dans un parking perdu en flinguant à jamais sa clio rouge. Il me fit signe d’approcher, puis me tendit son Sig Sauer ; il m’expliqua brièvement, en chuchotant, son fonctionnement. Je n’avais jamais tiré avec un pistolet, mais j’avais déjà eu par contre l’occasion de faire du tir à la carabine, et je n’étais pas stupide. Enlever le cran de sécurité, viser, tirer. Enfantin. Après, pour faire mouche c’est une autre histoire et il paraît que les premières fois le recul surprend, mais bon qu’importe. Puis il me demanda de faire le guet et de veiller sur nous trois pendant qu’il tenterait de crocheter la serrure.

 J’étais très absorbé par ma tâche car la proximité des sous bois, certainement emplis de macchabées ambulants, s’additionnait à l’impression de dangerosité latente, de menace en attente, qui me semblait émaner de la vieille bâtisse, dans laquelle résidait nous le savions la victime d’un viol à répétition et l’un de ses tortionnaires dont il faudrait disposer d’une manière ou d’une autre. Cela me mettait les nerfs en pelote. Normal, j’imagine.

La gamine, elle, se rongeait les ongles et fixait les sous-bois, trépignant un peu sur place. Imaginer qu’elle était pressée d’entrer étant donné ce qu’elle avait subit là dedans me prouvait à quel point d’une part elle avait une certaine force de caractère à sa façon. D’autre part cela prouvait par dessus tout à quel point elle redoutait de voir au loin les silhouettes grisâtres et vacillantes recouverte de lambeaux boueux que moi même je craignais viscéralement, à chaque seconde, de voir apparaître.

 Stéphane mit fin à notre attente angoissée. S’étant escrimé pendant quelques minutes à crocheter la serrure avec je ne sais quoi – un couteau suisse, peut être, car il me semblait l’avoir vu ranger un objet rouge dans sa poche en se relevant, il s’adressa à nous en chuchotant.

  • Bon, rien à faire je galère trop. On y arrivera pas comme cela. On fait le tour.

Nous acquiesçâmes en silence. En rendant le 9mm, je me fit la réflexion que ce serait formidable si moi aussi je pouvais mettre la main sur une pétoire, de n’importe quel genre ou calibre, pour apprendre les rudiments du tir avec ladite arme. C’est si sécurisant, ce genre d’objet. Et puis, on peut toujours se garder une balle. Au cas où.

 Nous passâmes sur les côtés latéraux de la bâtisse. Longeant cette dernière, un petit passage bétonné semblait incarner l’ordre et la netteté avant le chaos des herbes folles. Aucune fenêtre, sauf une petite, carré, en hauteur. Le genre qu’on trouve dans les salles de bains ou les toilettes. Aucun intérêt. Mais, pas de lumière, toujours. La maison d’un calme mort semblait comme un piège à retardement et la tension montait j’en suis sur chez nous trois, même chez le plus chevronné. 

 De l’autre côté se trouvait une autre sorte de cour, dont le sol était cette fois-ci composé de gravillons ; une porte de garage, une autre porte, une fenêtre unique au premier étage, les autres en hauteur. Egalement éteintes, toutes. A l’arrière plan, une sorte de jardin là aussi envahi d’herbe folles, et une balançoire accrochée à un noyer massif. Une table de jardin et quatre chaises vert sombres, que personne n’avait rentré – que personne ne rentrerait plus jamais – pour l’hiver. Toute l’imagerie à la fois banale et touchante d’une petite famille de jeunes parents avec enfants qui devait s’être installé dans la campagne de ce trou perdu du milieu de la France pour retaper une maison déjà presque habitable lorsqu’ils étaient arrivés, et qui n’avait plus besoin que d’un bon relooking de l’extérieur lorsque c’était déclenché ce qu’il nous faut bien appeler la fin du monde. Le début de cette fin, en tout cas..

 Je continuais à espérer que Stéphane avait un plan, puis un plan bis au cas ou le plan initial ne marchait pas, et ainsi de suite. Mais je constatais vite qu’il en était arrivé, au fond, à la même conclusion que moi. Il urgeait de savoir ce qu’il était arrivé à cette fille, nous étions armés – y compris d’une arme à feu – et il n’était pas très sain de rester dehors plus longtemps. Il fallait agir, maintenant, et ne plus tergiverser. L’excès de prudence ne doit pas induire l’inaction.

 Précautionneux quand même, le jeune policier déroula un sweat-shirt qu’il s’était enroulé autour de la taille. Un vieux sweat-shirt marron-jaune, avec Princetown University écrit en marron plus foncé, trouvé dans la station service lorsque nous avions rassemblé des affaires, là-bas, derrière notre bonne vieille grille. Lorsqu’il se déroula en entier, je compris qu’il ne l’avait pas prit pour lui, car le sweat était de toute évidence bien trop petit. Certainement oublié sur l’un des dossiers de la cafétéria, dans ce passé  lointain et lumineux ou des petites familles faisaient encore des arrêts pose-pipi et les prolongeaient pour boire un coca avant de reprendre la route des vacances. Avant.

 En fait, ce bougre, il avait tout prévu, même ce qu’il allait faire lorsque les plans A, B, ou X delta ne marcheraient plus. Il me demanda de tenir le sweat contre la fenêtre, puis frappa enfin, du bout du manche de la hache. Il lui fallu deux coups, car même en ayant décidé de rentrer par effraction, quelque chose devait le retenir tout de même de faire trop de boucan, et retenait ses coups par la même occasion. Certainement avait t’il encore l’espoir que nous ne nous fassions pas entendre par le ou les loubards se situant à l’intérieur. C’était d’ailleurs je pense une des raisons du Sweat. Outre le désir de ne blesser personne, Stéphane utilisait là un classique du système D pour tenter d’étouffer un minimum le son aigu et tranchant de cassure du verre.

 Le deuxième coup, plus sec et téméraire, brisa donc la vitre. Je ne savais pas trop à quel point il fallait en remercier la technique du sweat-shirt, mais effectivement le bruit fut moindre par rapport à celui que je m’apprêtais à entendre d’une fenêtre du rez-de-chaussée brisée par un coup de manche de hache. La vitre n’avait pas volé en mille éclat, mais un gros bout de celle-ci était parti, laissant place nette pour un très grand quart de sa surface, situé en bas à gauche. Le fragment manquant était tombé à l’intérieur.

 Ne désirant pas laisser perpétuellement à Stéphane l’initiative de tout ce qu’il y avait à faire, et voulant davantage m’impliquer, je me mit alors, comme j’étais le plus proche, en devoir d’ouvrir la fenêtre. Passant mon pied-de-biche de la main droite à la main gauche, je passais délicatement ma main dans l’ouverture et m’activais à ouvrir le loquet. Les rideaux opaques, couleur de feuille d’automne, ondulaient sans me laisser voir l’intérieur, ce qui avait un effet forcément et naturellement angoissant. Je m’attendais à tout instant à voir les rideaux s’écarter brusquement sur un visage masculin, ou à sentir une poigne forte me saisir le poignet. J’opérais néanmoins, et avec lenteur car malgré tout, mon bras était fort proche de la zone ou le verre avait été brisé et je risquais par mégarde de me couper très salement. Rien de tel heureusement, et enfin, le loquet fut abaissé ; je repoussai alors les deux volets de la fenêtre qui crissèrent sur les rideaux en les écartant et en me révélant un salon. Vide.

 Me retournant vers mes deux compagnons de route, je vis que Stéphane voulu pousser gentiment Stéphanie en avant, d’un geste d’accompagnement. Sans effet. L’adolescente restait les deux jambes fermement plantées dans le sol. D’un ton apparemment sans appel elle affirma.

  • Non. J’veut pas.

Immédiatement, nous nous consultâmes du regard avec Stéphane ; brièvement. Aïe. Problème.

  • Non, j’veux pas. J’veux pas.

La gamine commençait à trembler compulsivement, et il suffisait de voir son passablement charmant minois commencer à virer au très pâle pour se convaincre que ce n’était pas là une comédie de fillette trop sensible, mais un vrai trauma. Mademoiselle avait été brave, au vu des circonstances, mais au moment de s’engouffrer de nouveau dans ce lieu de débauches coupables et de femmes forcées par des dépravés violents et machistes, son instinct lui criait de ne surtout pas y aller. Partout, mais pas là. Pour ne pas de nouveau être saisie par des mains sales, pour ne pas entendre de nouveaux rires rigolards, pour ne pas de nouveau attendre dans une cave d’une lugubreté théâtrale avec comme seule pensée « mon tour viendra ».

Alors elle flanchait et, pour parler trivialement, elle pétait un câble, la nénette. Et on ne pouvait pas lui en tenir rigueur ; mais on ne pouvait pas davantage lui laisser le loisir de continuer.

 Tentant immédiatement de prendre un ascendant psychologique en coupant court à la panique dès le début, Stéphane essaya de la ramener à plus de calme, toujours avec le plus de discrétion possible en lui murmurant.

  • Attend…Steph…le problème c’est qu’on peut pas…

Le a de « pas » avait été proféré sur une note traînante ;  un début de phrase court mais suffisamment éloquent. Ah non, on pouvait pas. Ca, non. Rester dehors avec tout ce qui y traînait c’était du délire pur et simple. D’ailleurs on y était resté suffisamment longtemps, dehors, sans rencontrer de mort-vivant, sans même en entendre. Trop de chance, ça n’allait pas durer ainsi éternellement. Et la laisser dehors ? Bien évidemment ; allons sauver une fille dont on ne sais même pas si elle est encore en vie, et laissons en contrepartie une autre jeune femme, bien vivante celle-là, offerte à l’appétit des macchabées comme la chèvre d’un film américain bien connu attendant, attachée à son piquet, le monstre antédiluvien qui viendrait la dévorer. Ben voyons. Stéphane reprit.

  • Écoute, je sais bien ce qui s’est passé là-dedans. Mais faut voir ce qui est arrivé à ta copine. Tu comprend ? Si cela avait été toi, tu aurais bien été contente, non ? Et on peut pas te laisser toute seule dehors. C’est bien plus dangereux que ce qui t’attend dans cette baraque, tu peut me croire.

Sentant que c’était le moment idéal pour rajouter mon grain de sel, imitant le timbre de voix prudemment bas de Stéphane, je renchérissait alors, tentant de donner également à ma voix le ton à la foi rassurant, moralisateur, et réprobateur, qu’aurait prit un grand frère devant un caprice de sa petite sœur.

  • Il a raison, Steph. On est deux quand même. Tu vois ? On est là. On est armés. J’ai un pied de biche, un tonfa, Stéph a une hache, un tonfa, et mieux que tout une pétoire. Une arme à feu, Steph ! Si tu braque ça sous le nez d’un de ces petits merdeux, il va tout d’un coup être tout doux tout mignon, tu verra…

  •  Puis ça, c’est si il est là. Il est peut être plus là dedans. Qui sait ? il est peut être parti en moto, en mobylette ou autre. Comme les deux autres. Non ? Tu crois pas que c’est possible ? Stéphane la secouait gentiment, en parlant, ayant passé un bras protecteur autour de ses épaules.

Je prit une foi de plus le relais. Cette technique de renvoi de la balle de tennis semblait commencer à marcher. Sa respiration était déjà moins hachée.

  • Le soucis, Steph…c’est que si on continue comme ça, on va finir par être repérés. On va perdre l’effet de surprise. Et on peut pas rester dehors, on te l’a déjà dit. En plus ça caille. On entre, on explore la maison, on est armé, on fait ce qu’il faudra faire, et tout ira bien. Tu verra. Mais si on reste, ça risque déjà de moins bien se passer.

Et nous dûmes ainsi de suite nous relayer encore un certain temps pour voir la pâleur et la nervosité de Stéphanie faire place à un comportement plus posé et plus adapté à la situation. Un moment, son état de peur empira de nouveau, brutalement, et j’ai bien cru qu’elle allait défaillir ou faire une sorte de malaise ; mais la gamine finit heureusement par se ressaisir. Finalement, elle prit une grande bouffée d’air, ses joues redevenues roses, très roses même, sous l’effet du froid.

  • Bon, OK. Mais vous restez toujours prêt de moi d’accord ?. J…j’…j’ai vraiment peur…Alors…je compte sur vous hein ? Vous me laissez pas tomber hein ?

Elle avait légèrement bégayé, et ce n’était pas sous l’action du froid. Brave gamine. Elle tentait de prendre sur elle. Certainement que je prenais un caractère plus affirmé à force de côtoyer mon pragmatique ami car elle m’attendrissait mais en même temps elle commençait à me saouler – détonnant mélange – et prenant le taureau par les cornes, je la prit par la main pour la tirer en avant.

  • OK, on reste prêt de toi ; je te tiens même la main si ça te rassure. Stéph passe légèrement devant nous avec sa hache. Ça va bien se passer, tu verras.

Elle me regardait avec un mélange d’émotion trop complexe pour être lu, comme il est parfois difficile de lire les couleurs utilisées par le maître pour réussir une une nuance pour sa toile. De l’espoir, de l’angoisse, une sorte de recognition comme si je lui rappelais un grand frère ou un tonton qui lui manquait. Un besoin éperdu de nous faire confiance, de croire en nous, de croire qu’avec nous tout irait bien, mais également des doutes à ce sujet. Je ne sais pas, mais je sais qu’une goutte tomba sur sa joue rosie. Pas une larme, une goutte de pluie. Absorbés par nos persuasifs chuchotements, nous n’avions pas vu le ciel s’assombrir. Je lui adressai alors un clin d’œil.

  • Tu vois, en plus il commence à flotter. C’est plus le moment de faire les plantons dehors.

N’attendant pas sa réaction, j’emboîtais le pas à Stéphane qui enjamba le rebord de la fenêtre, et pénétra, enfin, dans la masure.


II


La première salle ou nous pénétrions était comme je l’avais vu une sorte de petit salon ;  appuyé contre le mur, à proximité de la fenêtre, une télévision cathodique de belle taille reposait sur un meuble en bois sombre. Lui faisant face, de l’autre côté de la pièce, un canapé imitation cuir, trois places, d’un rouge sombre. Occupant tout le mur de droite, une grande bibliothèque vitrée remplie de livres, de magasines, et d’une encyclopédie en plusieurs volumes. Et de l’autre côté, découpant le mur de gauche également occupé par un cadre représentant un décors paysan aux tons pastels, une porte peinte dans les mêmes tons crème que les murs. Fermée.

 Immédiatement, Stéphane mit son doigt sur sa bouche pour nous intimer le silence, puis colla son oreille sur la porte quelques secondes. Il chuchota alors. « Rien ». Il s’approcha alors de nous puis nous prit par les épaules pour nous forcer à nous pencher un peu, afin de mieux entendre ses explications chuchotée à voix très basse.

  • Bon, voilà ce qu’on va faire. On va se redistribuer les armes. Le mieux, Willi, c’est que tu file ton pied de biche à Stéphy. C’est plus léger. Toi tu va prendre ma hache ; tu n’aura qu’à lâcher la main de Stéphy quelques secondes au cas où. Elle est assez lourde et tu auras besoin des deux bras le cas échéant. Et moi cela me permet de sortir mon pistolet;  c’est suffisamment dissuasif, alors il faut qu’on joue là dessus. Qu’en dites vous ?

Nous acquiesçâmes elle et moi, puis nous procédâmes tous aux échanges. Cela fait, Stéphane approcha de la porte crème, puis l’ouvrit avec milles précaution. Elle s’ouvrait vers l’extérieur, et mon ami gaucher put donc ouvrir de la main droite tandis que la gauche tenait la précieuse arme prête à l’emploi. Une fois dehors Stéphane jeta un coup d’œil panoramique. Puis avança, nous laissant la possibilité de le suivre dans le corridor, ce qui indiquait suffisamment clairement qu’il n’y avait aucun danger immédiat. Je ne savais pas précisément quelle heure il pouvait bien être maintenant, mais la pluie dehors avait encore davantage mis à mal la luminosité déjà morose de ce mois de janvier morbide, et la seule lueur qui éclairait faiblement ce couloir provenait des deux portes, celle de derrière, et celle de devant, qui étaient toute deux percée, vers le haut, d’un petit carreaux en verre fumé au motif en losanges. La porte de derrière était d’ailleurs toute proche sur notre gauche. Sur notre droite, le couloir menait tout droit à l’entrée, mais était traversé transversalement par un autre corridor, ce qui nous permettait de tourner soit à gauche, soit à droite. Stéphane se mit en devoir d’avancer plus doucement que jamais, pas après pas, sa main droite en soutien de la gauche, toute deux repliée fermement sur le calibre 9mm. La tension s’opacifiait, devenant lourde et noire dans ce jour d’hiver mourant ou le temps semblait ralentir en même temps que nos gestes d’une prudence extrême et d’une lenteur mesurée qui rajoutait encore à ladite tension. Un pas après l’autre, doucement. Ne pas penser. Avancer. Redouter l’explosion d’action, de violence, de quoi que ce soit qui viendrait briser cette exploration angoissée, et le souhaiter en même temps, pour en être enfin quitte. Parvenant à l’embranchement des deux corridors, un autre regard panoramique de Stéphane. Rien. Lâchant le pistolet de la main droite, il nous fit geste d’avancer. Je m'apprêtais à faire un pas, tirant la jeune femme par la main, lorsqu’il fit soudain un autre geste, levant brusquement la main pour nous faire comprendre qu’il ne fallait plus avancer, ni produire le moindre son. Je retenais mon souffle, et senti Stéphy faire de même dans mon dos. Sa main était moite.

 Stéphane tourna à moitié sa tête vers nous, mais ses yeux, eux, étaient tourné vers l’autre côté du couloir. Une attitude typique d’écoute absolument attentive et concentrée. Je tendais l’oreille aussi. Et effectivement il me sembla entendre quelque chose, à la limite de ma perception. Une sorte de boum, très léger, mais suffisant pour faire monter la tension d’un cran. La tension, cette anticipation du danger, plus terrifiante parfois que le danger lui même ; nous avions côtoyé des morts vivants, j’en avait même combattu plusieurs sans réellement faillir et là, je tremblais pourtant en agrippant ma hache comme si elle était une bouée de sauvetage.

 Nous restâmes ainsi quelques secondes à scruter d’autres bruits ou sons. Rien. Stéphane nous indiqua, d’un geste, et aussi d’un murmure si bas qu’il me fallu lire sur ses lèvres, que le bruit provenait de la partie gauche du corridor. Nous lui emboîtâmes donc le pas, toujours à pas de loup, armés, nerveux, tendus comme des élastiques prêt à se rompre.

 Une fois parvenu à l’endroit ou les deux couloirs se croisaient, nous pûmes voir l’autre corridor dans son entier et constater que dans la partie droite de ce dernier ne se trouvait qu’une porte, percée dans le mur de gauche, et qui si mon sens de l’orientation ne me jouait pas trop de tours devait être cette pièce que j’avais déjà baptisé mentalement « la cuisine » au vu de ses rideaux. S’y trouvait également, un peu plus loin un petit escalier raide qui permettait d’accéder à l’étage.

 La partie gauche, celle d’où était semble t’il parvenu ce bruit, était percée de quatre portes, deux dans le mur de droite, et deux leur faisant face en vis à vis dans le mur de gauche. L’une des deux portes de droite ne renfermait aucun mystère car elle était ouverte. Des toilettes. Nous avions donc le choix entre trois portes, celle qui se trouvait juste à côté des toilettes, dans le fond du couloir. Et les deux portes de gauche. Celle qui faisait face aux toilettes était toute proche, et donc Stéphane s’accroupit et colla son oreille tout contre, comme il l’avait fait dans le salon par lequel nous étions entrés. Il resta là plus d’une dizaine de secondes. Puis s’en décolla enfin. Dans son excitation, il oublia de murmurer aussi bas que d’habitude.

  • Bingo. Y’a du bruit derrière cette porte ; j'entends une sorte de raclement. Et des coups. Y’a quelqu’un là dedans.

Quelques secondes durant, nous nous regardâmes tout trois, conscient des implications. Fini de jouer. J’avais peur que Stéphanie ne panique, mais un bref regard me montra qu’elle avait plutôt l’air hébétée qu’autre chose – mais. Au fait. Qu’est ce que je fous là ? – et d’avoir soudain très chaud, ses joues formant deux tache d’un rose sombre sur ses joues humides de sueur. Mais pas de signe de panique extérieur. Bien.

 Stéphane posa sa main sur la poignée, tandis que la poigne de l’autre main, elle, tenait plus fermement que jamais le Sig Sauer...Un dernier regard entendu échangé dans le trio, et la porte fut vivement ouverte pour révéler un petit palier en béton, occupé par un paillasson hérissé de poils d’un rouge sale ayant connu des jours meilleurs, et depuis vraisemblablement foulé au pied par des générations de chaussures sans pitié. Après le palier, le noir, l’obscurité vertigineuse dans laquelle plongeait une volée de marche dénudée en béton. La cave.

 Une cave ; descendre à la cave. Une pièce qui a depuis bien longtemps participé aux poncifs des films d’horreur. On y enterre les grands mère, on y séquestre les gens. C’est noir, rempli de toiles d’araignées. On peut tenter de les rénover pour jeter un vernis de modernité et de confort, mais l’on sent sourdre à travers la pierre, qui seule nous sépare de la terre sombre, toute la malveillance d’anciennes divinités chthoniennes qui ne demandent qu’à se réveiller des tréfonds de la terre. Inquiétant, de descendre à cave, déjà en temps habituel. Mais alors une cave sombre d’où viennent des bruits de craquement et de raclement, dans une maison ou habitaient récemment encore une poignée de sadiques et de déments, et en une époque de cauchemar ou se relèvent les morts. Je crois que si nous n’avions pas été armés, je n’aurais jamais eu le courage de descendre ces marches grises qui me semblaient être la pente vers l’abîme sans retour. Étrangement, Stéphanie qui ne s’était jusqu’alors pas trop manifestée pour nous guider, elle qui devait pourtant au moins partiellement se rappeler de la configuration des lieux, nous chuchota, la voie étranglée, et hésitante.

  • Oui…c’est là. La…la cave. C’est là qu’ils nous avaient enfermées, c’est là que…q…

D’un geste de la main, je l’arrêtais. Nous savions le reste, inutile de rentrer dans les détails, et j’étais nerveux que ce-qui-grattait ne puisse nous entendre. Évidemment, le bruit de la porte ouverte avait déjà dû alerter qui de droit, mais ce n’était pas la peine d’en rajouter – comme le café Maxwell. Conscient que nous n’avions pas amené Stéphanie avec nous pour qu’elle joue les guerrières et que nous ne l’avions armée – actuellement d’un pied de biche – que dans l’optique ou elle aurait dû se défendre seule à un moment donné ou un autre – lorsque nous serions tout les deux « game-over » par exemple – je lui chuchotais à l’oreille qu’il n’était pas nécessaire qu’elle descende avec nous si elle ne le voulait pas ; ce à quoi elle me susurra qu’elle préférait effectivement rester en haut. Évidemment, elle pouvait toujours nous rejoindre en bas dans le cas ou le taré restant serait inopinément surgit d’une des pièces que nous n’avions pas encore explorées.

Pendant ce court échange, Stéphane en avait profité pour entrer sur le palier ; ayant trouvé deux interrupteurs – le vieux modèle, celui ou il faut soulever un petit loquet – il les avait activés et avait commencé à descendre deux trois marches. L’un des deux interrupteurs commandait l’ampoule qui éclairait l’escalier, l’autre commandait celle du sous-sol. Ce-qui-grattait était de toute façon bien au courant de notre présence à présent ; inutile d’avoir peur que l’on chuchote. Ce que je peut être bête, des fois.

 Nous descendîmes donc les escalier plutôt raide, discernant les marches grâce à l’éclairage maladif de l’ampoule qui colorait le mur de parpaings apparents d’un jaune pisseux. Chaque marche descendue augmentait ma nervosité, et une réelle sensation de boule dans le ventre et de nausée s’emparait de moi. Mais je tenais bon, et il fallait y aller, nous n’avions pas le choix. Ridicule de flancher maintenant. Qui plus est – égoïstement et lâchement je doit l’admettre – j’étais quelque peu rassuré par le fait que Stéphane descendait le premier, et qu’il ferait barrage de son corps en cas de situation soudaine de péril. Autrement dit, si ça se mettait à pulser, c’était mon ami le flic qui prendrait la première douille. Déformation professionnelle, quelque part, de toujours se mettre en premier. D’où l’intérêt, en cas d’invasion de morts-vivant dans une Europe soudain submergée par les morts en goguette, de se faire accompagner d’un policier et non pas d’un petit épicier de quartier peureux comme un lapin.

 La descente me parut assez longue, l’angoisse aidant à fausser ma perception du temps, mais il faut dire aussi que nous descendions précautionneusement, vu les marches assez raides et vu le fait que nous étions armés ce qui rendait toute chute encore plus dangereuse. Mais au bout du compte, Stéphane prit enfin contact avec le sol de terre battu, et moi tout de suite après lui. Il s’écarta d’un pas l’arme levée, ce qui me permis de me ranger à ses côté en étreignant ma hache comme si ma vie en dépendait – et pour autant que j’en savais cela pouvait bien être le cas. Quoiqu’il en soit ça y est, nous avions descendu l’abîme et atteint la bouche de l’enfer, le lieu central, le noeud de tout ces événements qui avait conduit trois jeunes femmes à être séquestrées par des maniaques et des sadiques. Nous nous attendions bien évidemment à quelque chose. A de l’horreur, à une vision éprouvante, quelle qu’elle soit. Nous étions servis au delà de toutes espérances, bien que le spectacle affreux et indécent que nous offrait la cave des damnés n’était pas exactement celui auquel nous nous étions préparés.

 La cave, une salle rectangulaire assez nettement plus longue que large, devait mesurer dans les trois mètres de large et entre sept et huit mètres de long ; elle était assez classique, lugubre, et en désordre, mais somme toute pas plus que la cave de Monsieur-tout-le-monde. Une vieille chaudière poussiéreuse qui jadis avait peut être été blanche, se trouvait dans l’angle gauche du fond de la cave.  Reposant au centre du mur de droite, un vieux réfrigérateur du même blanc poussiéreux et sali, avait été descendu pour une raison X ou Y ; il n’était pas branché et sa porte était entrouverte. Partout l’éclairage était similaire à celui de l’escalier, les parpaings froids semblant atteints de jaunisse, tandis qu’au plafond et dans les angles hauts,  adhéraient de vieilles toiles d’araignées brunies et désormais inutiles, gardant parfois quelques vestiges du cadavre racorni de leur anciennes propriétaires. Le mur de gauche, lui, était un fatras de balais, serpillières sèches et rigidifiées, sacs de ciment éventrés. Tous ces détails lugubres et banaux d’une cave campagnarde commune étaient une toile de fond appropriée pour le spectacle sanglant qui occupait le fond et le milieu de la pièce.

 Ce dernier était occupé par un corps, reposant dans une mare de sang, et baignant aussi dans le grotesque de sa situation ; le cadavre d’un homme auquel il aurait été difficile de donner un âge, vu qu’il reposait sur le ventre. De courts cheveux châtains hérissaient sa tête, et la mare de sang – d’un brun rouge noireâtre sous l’éclairage maladif – semblait s’élargir à partir du dessous de son corps. L’une de ses mains étaient crispée, ses doigts recroquevillés, tandis que l’autre reposait sous lui, comme s’il avait tenté de presser contre son ventre pour retenir quelque chose. Il n’était pas difficile d’imaginer qu’il avait fatalement été blessé au ventre et qu’il avait tenté là de retenir ses viscères ou de comprimer son ventre pour tenter de stopper une hémorragie fatale. Le détail qui le rendait grotesque, cadavre d’un ridicule exquis, c’est qu’il avait le pantalon baissé, et que ses deux fesses glabres formait deux collines stériles de chair livide pointées vers le haut. S’il n’avait pas été dans cet étang d’hémoglobine mais dans un lit d’hôpital à la place, on aurait pu croire un patient attendant un suppositoire, administré par une infirmière revêche. Ah, mon petit monsieur, j’en ai maté des plus costauds. Allons, détendez vous…

 Le grattement, lui, émanait du fond de la cave, là ou des couvertures crasseuses et des draps maculés de toutes sortes de tâches suspectes, jetés au hasard, formaient une sorte de couche chaotique, de niche sordide. C’est là qu’elle était. Assise sur ses talons dans une attitude féminine, nous tournant le dos, elle grattait. Inlassablement, elle avait l’air de tenter de griffer, mollement mais régulièrement, robotiquement, une sorte de planche de bois qui avait été posée contre le mur du fond, peut être pour absorber l’humidité. Depuis notre arrivée, notre irruption plutôt, les armes à la main, elle ne s’était pas retournée et c’était le seul son que l’on pouvait entendre dans le silence épais et tendu. Scrchhht…Scrchhht…

 Nous échangeâmes un regard avec Stéphane. Il avait l’air perplexe ; concentré, aussi. Instinctivement, il appuyait maintenant une longue visée, de son arme, visant la jeune femme assise. Peut être était t’elle simplement devenue démente ? Folle de rage, de douleur, montrant la même violence aveugle que celle dont ferait preuve un animal rendu fou à force de coups et de privation de nourriture. Elle avait alors constaté que son tortionnaire n’était plus qu’un, et qu’il avait fait la bêtise de venir la violer seul…Or à un contre un le rapport de force est déjà beaucoup plus équitable -même femme contre homme si la femme se bat avec rage et détermination –et elle l’avait tué.Ce dernier événement macabre ayant été trop pour la soupape de sécurité qui l’avait maintenue dans ce monde de douleur, elle était partie. Son esprit était parti. Ailleurs. Et depuis, son corps, lui, il grattait.

Scrccht…Schrccht…

Peut être. Rien de moins sûr. J’allais commencer à m’approcher d’elle. Imprudent. Il valait mieux être sûr de ce en quoi la situation avait évolué avant d’être à sa proximité. Si elle était devenue démente, qui sait si en voyant deux hommes inconnus, elle n’allait pas se jeter sur nous comme une furie. Qui sais si elle ne cachait pas une arme, volée à l’homme qui commençait son voyage sans retour au pays de la putréfaction, là, à un mètre de nous par terre. Qui sais si sur la seule base de notre sexe, dans sa folie, elle n’essaierais pas de nous larder des coups de cette mystérieuse arme de fortune. Qui sais ? Et si c’était l’autre possibilité, alors, il était encore plus primordial de le savoir avant d’être à sa proximité directe.

  • mademoiselle ?

C’était Stéphane. Me stoppant net dans mon avancée, juste après mon premier pas en avant. Me stoppant de sa simple voix, car j’étais maintenant curieux de savoir ce qu’allais déclencher cet appel, et, tout comme Stéphane, je retenais mon souffle, dans l’expectative. La réponse fut simple.

 Scrchht…scrchhht…

Toujours, de façon entêtée, « Mademoiselle » grattait le mur.

 Alors Stéphane réitéra.

  • « Mademoiselle ? Oh, Mademoiselle ». Puis plus fort « Mademoiselle… ? ! »…

Scrch…scr…

Mademoiselle avait cessé de gratter le mur et restait ainsi en position d’attente. Elle semblait paralysée, figée dans sa posture, sa main levée comme si elle saluait le mur. Une main dont les extrémités étaient sanglantes, dont les ongles étaient déchirés. Je ne put réprimer un frisson. On aurait pu entendre une plume tomber tellement le silence était total dans ces instants d’angoisse figée. Étions nous devenus les héros de quelques dessins fantastique d’un illustrateur de science fiction, resterions nous à jamais sur le papier glacé d’un magazine de SF bon marché comme ces pulps américain ?

 Puis le temps sembla reprendre soudain son cours, le monde ses couleurs et ses bruits, lorsque Mademoiselle enfin daigna se retourner pour accueillir enfin dignement ses sauveurs. Oh mon héros.

 Non, jamais elle ne nous sauterais au cou en pleurant de gratitude, et Stéphanie fut immédiatement propulsée au rang de « dernière rescapée de… » qui aurait fait d’elle une sorte d'héroïne et d’icône temporaire des journaux de tout le pays si tout cela s’était passé du temps de ma normalité chérie. Mademoiselle appartenait au deuxième scénario, le pire. Du moins, le plus triste – car se trimballer une démente, étant donné toutes les épreuves qui nous attendaient avec tout ce qu’elles allaient nous demander de courage, de mobilité, de réactivité, cela aurait été du suicide et donc pire à sa façon.

 A la même seconde je compris deux choses. La première, c’est que la dernière des trois filles de la cave, après avoir été capturée à nouveau, puis enfermée ici par ce type, était morte d’une façon ou d’une autre et s’était transformée en morte-vivante , elle aussi. Comme sa compagne décapitée, là dehors à quelques centaines de mètre. La deuxième chose que je comprit, c’est que cela été arrivé tout récemment. En tout cas, le type par terre avait été tué peu de temps auparavant. Peut être même un quart d’heure ou une demi-heure, voir même dix minutes avant notre arrivée. Difficile de dater avec précision, mais l’accident était récent ; la morte, en se levant, poussa un cri, un gémissement qui faisait presque de la peine. Et ce faisant, elle exposa ses dents. Ces dernières étaient parée d’une sorte de vernis écarlate, de parure vermillon qui n’avait pas encore eu le temps de se diluer dans la salive de sa bouche morte. Le sang, par terre, devait lui être encore chaud.

 Elle resta là, à vaciller quelques secondes en nous regardant d’un air assez comique, nous gratifiant de son rictus ensanglanté, la tête penchée sur le côté comme un chien qui écoute son maître. Un filet de bave dégoulinant vint mourir sur son pull d’un beige sale. Finie l’image du bon chien mignon qui penche la tête. Plutôt le dogue de bordeaux baveux, maintenant. Puis « Mademoiselle » le-molosse-zombi s’ébranla en notre direction, prenant l’attitude caractéristique de sa race maudite. Un pas aussi balancé que le bateau ivre de Rimbaud prit dans sa tempête, un bras mort le long du corps, l’autre déjà levé et tendu, les doigts regroupés en serres (ceux là même qui grattaient le mur) pour agripper fortement. Un murmure parti du ventre, des tréfonds des tripes mortes, pour signifier la faim primale et obsessionnelle qui occulte tout.

 Je restais un instant fasciné, mais heureusement pas plus longtemps que de raison. Il fallait agir, ces morts-vivants savent être soudain plus rapides à proximité direct d’une proie. Elle serait bientôt sur nous deux, je voyais son immonde tête, qui me fascinait, grossir et grossir dans mon champs de vision. Et chaque balle du Sig Sauer économisée était une balle aussi précieuse que de l’or. A moi de prendre l’initiative. Tuer ces deux-là était un sale boulot ; une avait été pour Stéphane, la deuxième serait pour moi.

J'avançais donc à sa rencontre, la hache en main, puis j’armais un coup en poussant un « han » d’effort, et de douleur car ma bonne vieille luxation ne m’avait pas encore laissé complètement tranquille, et tout objet lourd manipulé ainsi réveillait sa sensation de déchirure. Mais qu’importe. Nous devenions des guerriers, je le dit sans vantardise ni forfanterie mais c’était peut être la petite récompense de celui qui commence à apprendre à survivre dans l’enfer des morts. Oublieux donc de cette sensation de brûlure acide, j’abattais aussi fort que possible la hache – une relativement lourde cognée de pompier – d’un coup oblique qui fit un bruit mat - chtonc – en frappant Mademoiselle dans le haut de la poitrine. Joli shoot – strike – car je le vit littéralement tournoyer sur elle même d’un demi-tour complet, et elle s’écrasa face contre terre à proximité du fatras de seaux vides, de vieux balais et de serpillières sèches et raides. Alors ce fut à mon tour de remplacer Stéphane dans l’ingrat et terrible rôle de « bourreau » façon médiévale. Sauf que cette fois-ci, au lieu de décapiter, le bourreau fit un autre pas en avant, leva la hache, et l’abattit sur l’arrière d’un crâne mort caché par de longs cheveux blonds filasses sales, pour faire éclater ce dernier comme une pastèque trop mur. Et ce fut fini. « Mademoiselle » n’était plus.

 Mon regard, qui devait paraître hagard, parcouru involontairement le carnage écoeurant qui en restait. Et, si nous nous endurcissions au mal, nous ne devions apparemment pas nous endurcir sur tout. Car ce fut trop pour moi. De la bile me monta soudain à la gorge, et je retint un haut le cœur, tandis que des larmes montaient à mes yeux. Trop. C’en était trop pour moi.

 Nous avions monté cette expédition pour tenter de sauver ces deux jeunes femmes ; cela peut sembler dérisoire alors que partout sur la surface de ce monde pour autant que nous pouvions en juger, des gens mourraient dans des conditions atroces. Mais comme je l’ai déjà expliqué, cela nous permettait d’agir, de faire quelque chose, de nous raccrocher à cela. Rien qu’à cela. Mais même cela nous avait été retiré, et au final nous avions tout les deux dû être les bourreaux de deux jeunes femmes, qui certes étaient devenu des monstres, mais qui étaient encore bien vivantes il y a peu, et dont l’âge me rappelait Katalina. Ma Katalina, dont je ne savais rien, dont je ne saurais peut être plus jamais rien. Leurs exécutions avaient été brutales, sans grâce, lapidaires. Elles avaient connu le pire de l’humanité avant d’être emportées elles aussi comme tant d’autre dans la tourmente finale. La digue de mes émotions se rompu enfin, libératrice, et, jetant la hache qui me semblait alors l’objet le plus dégouttant du monde, je m’affaissais enfin sur le tas de vieilleries du mur gauche, cachai la tête entre mes mains, et laissai libre court à mes sanglots.

 Ils durèrent je ne sais combien de temps, mais c’est finalement la douleur de mon côté droit qui me sorti de ce gouffre de peine amère. Bougeant légèrement, la douleur ravivée par les deux puissants coups de hache me cuisa, et je ne put réprimer un petit aïe de douleur. Sortant ma tête de mes mains, je constatai que Stéphane, lui, gardait la tête baissée. Ce n’était pas de la gêne pour moi, je crois qu’il comprenait et respectait ma peine ; je crois qu’il en éprouvait une immense, également, mêlée de frustration de n’avoir rien pu faire. La tête baissée était plutôt un signe de respect. Vieux frère, compagnon d’armes. Respect commun et mutuel pour notre douleur, et pour cette jeune dame que nous n’apprendrions jamais à connaître. Mademoiselle.

 Reprenant avec lassitude la hache, je m’adossais au mur sale pour me relever et laissai mon regard s’égarer sur l’autre cadavre. Un détail que je n’avais pas vu accrocha alors mon regard. Ayant roulé à quelques distances de son bras gauche, celui qui n’était pas pressé contre son ventre sous lui, se trouvait une canette de bière dans sa bouteille de vert fumé vert foncé. Couchée, elle contenait encore une petite dose de liquide, de bière éventée qui stagnait. On aurait dit la bouteille d’un collectionneur qui attendait son bateau, mais la version pour alcooliques, et en modèle réduit. Je m’imaginais alors le scénario. Voilà ce qui s’était passé.

 Quel crétin. Il avait remit la main sur l’autre fille, qui n’avait pas voulu s’enfuir dans la forêt. Elle ne s’était probablement que mollement défendue ; j’avais une petite idée de pourquoi. Puis il l’avait descendue, de nouveau, dans cette cave de malheur. Attendant le retour de ses collègues, déjà peut être bien éméché, il avait dû rôder dans la fermette, trouver le temps long, et s’était enfilé quelques bières et peut être avait t’il même commis la stupide bêtise classique d’aller la mélanger à autre chose – rotant en vacillant dans sa débilité crasse amplifiée par l’alcool en se disant à voix haute et en s’adressant à un copain imaginaire « oah les copains vont pas être jouasse de voir tout ce que je m’suis enfilé en juif… » suivi d’un rire de gorge bête et méchant. Un langage verbal et un langage gestuel à la hauteur d’élévation spirituelle du personnage, certainement. Rôdant de nouveau jusqu’au réfrigérateur, il s’était prit une énième bière avant d’aller s’amuser un peu. Avec elle toute seule. Il l’avait pour lui tout seul. Cool.

 Entre temps, Mademoiselle était morte. De quoi…Conjonctures. Rupture d’anévrisme ? Un quelconque mal foudroyant ? Morte de chagrin et de lassitude de vivre, si cela est possible. A moins que… à moins que bien avant d’être emprisonnée avec Stéphanie et « Jane Birkin », Mademoiselle n’aie été mordue par un mort. Cela me semblait une hypothèse plus que très probable. Pour ce que cela changeait, maintenant, je n’allais pas aller l'ausculter maintenant, mais l’hypothèse était séduisante. Cela expliquerait sa mollesse, son manque d’énergie et de volonté de fuir, sa passivité lorsque le dernier du gang de violeur l’avait de nouveau séquestrée.

 Elle était déjà atteinte de cet étrange apathie, de ce manque d’appétit de vivre, de ce manque d’appétit tout court (avant la boulimie carnivore dévorante de l’après-mort) qui précède chute de température et de tension, hypothermie, ralentissement du rythme cardiaque…mort cérébrale, mort tout court, puis le retour.

 Elle était d’ailleurs revenue quelques temps avant d’entendre la cave s’ouvrir, la haut. Crétin premier le roi des imbéciles, lui, descendait déjà la cave. Complètement emporté par le tourbillon aveugle qui tempêtait dans son crâne dont toute pensée cohérente (s’il en avait jamais eu) avait été chassé par l’éthylisme, ce…ce pignouf était descendu, la canette de bière à la main, le pantalon déjà descendu, manquant trois ou quatre fois de se casser la figure dans les escaliers, rigolard, caricature de ce qu’il y a de plus glorieux chez l’homme, bidochon violeur, loubard ivre et complètement abruti. Forcément, qu’il était rigolard. Elle s’était montrée si docile. Si passive, si peu rebelle. Elle allait peut être même se montrer gentille avec lui. Il avait qu’à lui promettre de la relâcher, après. Sans rien en faire, évidemment…qu’elle est coooonne. Il s’en vanterait ensuite devant les copains, qui en seraient vert de jalousie.

 Mais aucune petite gâterie ne l’attendait en bas. Cueilli dans toute sa bêtise et fauché dans le ridicule le plus absolu de sa sordide situation, il était mort mordu au ventre ou au bas ventre par une morte dont la vision abominable l’avait peut être dégrisé au dernier moment. Pour qu’il se rende compte de ce qui lui arrivait, et de comment il allait mourir, et de ce à quoi ressemblerait son cadavre. Je le lui souhaitais, à ce damné de la cave.

 Brutalement, je fut tiré de mes rêveries rétrospectives, de mes hypothèses pensives sur ce qu’avaient été les derniers instants de mademoiselle et de crétin premier, sursautant littéralement sur place comme le dormeur tombant du lit en plein sommeil paradoxal, par la voie de Stéphanie. Aucune controverse, cette dernière était rauque, rendue grave, étranglée, une voie de gorge ou l’on sentait une angoisse, un sentiment d’urgence, pressant.

 - « Hé, les gars…Hé, les gars ! Y’a un problème, là. Vite. Vous devriez remonter vite pour voir ça. Vite. Vite ! »

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la table des matieres.


10 juillet 2007

la mort finit toujours par vous rattraper part I

Il fallait que je réfléchisse. Étions nous vraiment obligés de faire quelque chose? Est-ce que l'on était pas encore sous le coup de la testostérone qui nous avait stimulé lors de notre sauvetage? Après tout, on n'était pas obligé de jouer les héros, de se mouiller pour cette fille, chacun pour soi et dieu pour tous... Et puis, il fallait que l'on trouve une voiture, sans les clés de contact c'était plutôt « chaud la braise », et puis ces gars là étaient peut être plus de trois. Non, nous devions faire quelque chose parce que nous en avions le devoir, parce que l'on était du bon coté de la force. Je ne sais pas si je serais capable de vivre avec cette erreur sur la conscience. Ce qui fait que l'humanité est forte, c'est son coté « animal de société », nous vivons pour les autres et à travers les autres.

 

Toujours est-il qu'il fallait faire ou ne pas faire quelque chose de fou.

 

« Will, écoute je réfléchis a ce que l'on peut faire. Ce que je te propose c'est d'éviter de foncer bille en tête contrairement à ce que pouvaient faire les personnages de jeux de rôle que l'on incarnait il y a quelques années. Pendant ce temps, commence à rassembler les choses que l'on peut emporter d'ici : outils, bouffe, vêtements, etc. Pour ma part, je vais aller dans le vestiaire du personnel voir si par hasard je trouverais pas une clé de voiture qu'un employé aurait mis dans son placard. Dés que Stéphanie sort de sa douche, prend là avec toi, elle t'aidera dans cette tache ingrate mais indispensable.

- Ouais bonne idée.

- Pense aussi à aller faire un tour dans la boutique de la station-service, il y a sûrement deux trois ustensiles pour voiture qui pourraient nous servir, ou des mags-lite accompagnées de leurs piles... »

 

Je me dirigeais donc dans la direction du vestiaire du personnel de service, muni d'un pied de biche que j'avais trouvé sous le comptoir du bar de la cafétéria, pendant que mon ami ouvrait les placards,  chambres frigorifiques et autres lieux pouvant contenir des denrées comestibles.

 

Le vestiaires du personnel contenait une vingtaine d'armoires métalliques. La plupart contenait des habits que je récupérais dans un sac, en séparant les vêtements masculins des vêtements féminins. Je laissais de côté ceux qui m'apparaissait tout de suite trop petits. Je trouvais deux clés de voiture : une clé de renault et une clé de ford. La chance était avec nous.

 

Quelques dizaines de minutes plus tard, nous avions trié des vêtements et de la nourriture dans deux sacs de sport trouvés dans la station-service en lot d'un jeu quelconque. J'avais mis de coté trois petits sacs à dos dans lesquels j'avais mis deux cartes IGN (très utiles), une boussole, un grand couteau de cuisine et sa pierre à aiguiser, une mag-lite et des piles, des couteaux suisses quelques provisions, et des polars pour se détendre. Comme arme on allait se servir du pied de biche et d'une hache à incendie trouvée dans l'arrière boutique.

 

Nous étions prêt. Je rigolais même intérieurement en observant Will qui rangeait les quelques cartouches de cigarettes qu'il avait réussi à dénicher ici et là. Nous étions aux portes de la mort et ce bon vieux Will gardait toujours l'esprit pragmatique, contraint et forcé par l'implacable envie de nicotine.

 

J'avais déjà réfléchi à un plan d'évacuation pendant que nous rassemblions nos maigres possessions.  Stéphanie, pourtant toujours silencieuse sorti de sa léthargie.

 « Pourquoi avons nous fait ça?... Dit-elle d'une petite voix apeurée. Sentant la proximité d'une départ certain.

- Nous allons chercher tes compagnes d'infortunes. Dit mon pote Will sur un ton détaché.

- Je... Stéphanie tenta d'articuler quelque chose mais ils ne sortirent pas. Je ne pense pas qu'elle était franchement enchantée de revenir là-bas.

- Attendez moi là, je vais monter sur le toit, essayer de repérer si je trouve les voitures qui pourraient correspondre à ces clés que j'ai trouvé. »

...

 

La vision qu'offrait le toit de la cafétéria n'était pas des plus plaisante, même si nous avions l'impression que les morts nous avaient oublié, ce n'était qu'en partie vrai. Ils étaient toujours là, omniprésent, hantant chaque coin, telles des marionnettes asservies par leurs vieux réflexes de vivants. Je repérais les voitures sur le parking et testait les clés. Joie. Un clignotement familier se produisit à une trentaine de mètres de la cafétéria, il s'agissait d'une ford mondéo break. C'était bon signe, la batterie fonctionnait encore. Il ne restait plus qu'à...

 

... Je redescendis et exposa le plan que j'avais conçu pour sortir de notre planque et atteindre la voiture plus ou moins sans encombres. Celui-ci était simple et se basait sur une scène du deuxième film de G. ROMERO « Zombie ».

 

« Bon... Vous êtes prêt?... Dis-je en regardant mes deux compagnons. Mon ami Will, la clope au bec, son air abattu coutumier mais rassurant, et cette jeune fille qui avait connu la part sombre de l'humanité et que nous allions venger.

- Vous... Vous n'êtes pas obligé de faire ça. J'ai pas envie de retourner là-bas moi! Même si ce que je dis est dégueulasse pour mes anciennes compagnes de captivité. Mais elles sont peut être mortes à l'heure qu'il est.

- Tu sais, nous aussi on a peur, c'est humain. Le fait est que l'on ne peut pas rester la éternellement, les vivres vont finir par manquer et on est au milieu de nulle part. On devait y aller de toute façon, donc ce « projet » nous en offre la possibilité... Dis-je en essayant de minimiser ce que l'on avait entrepris de faire. »

 

Stéphanie nous regardait l'un et l'autre, avec le visage troublé. Était-ce la crainte de ce que nous allions faire ou autre chose?. Toujours est-il que Will, troublé lui aussi mais toujours aussi motivé, me soutenait, m'est avis, à cent pour cent. Dans la vie, « il y a deux types d'hommes, ceux qui ont un revolver chargé et ceux qui creusent » disait Clint Eastwood dans « le bon, la brute et le truand », moi je dirais plutôt que « dans la vie, il y a ceux qui agissent et ceux qui subissent ». Dans notre cas, il valait mieux agir que subir et finir dans l'estomac pourrissant d'une des loques zombifiées qui nous guettait dehors.

 

Est ce que le plan allait fonctionner? Stéphanie alla rejoindre la place que nous lui avions dévolu, à l'opposé de là où nous nous trouvions, près de la sortie de secours du fond de la cafétéria. Et puis nous passèrent à l'action. Will faisait du raffut pour « les » attirer de ce côté pendant que je m'entayais l'avant bras pour asperger de quelques gouttelettes de sang les premiers venus et peut être exciter la convoitise et la faim des autres. Notre plan avait l'air de fonctionner. Les morts-vivants sortaient de leur mutisme, et daignait tourner la tête de notre côté. La faim guidait de nouveaux leurs pires instincts cannibales et les forçaient comme des marionnettes mal articulées à se rendre près du lieu où se tenaient leurs proies trop bruyantes. Puis une fois convaincus qu'ils étaient tous plus ou moins là, nous nous précipitâmes de l'autre côté où nous attendait Stéphanie. Il fallait agir vite, Will prit Stéphanie par la main en lui tendant le pied de biche, et se préparait à me suivre, concentré.

 

J'ouvris la porte brusquement en essayant qu'elle ne claque pas. Je sortis en premier. Les zombies semblaient avoir tous été attiré par le bruit que nous avions fait de l'autre côté. Mon plan, pour ce qu'il était, avait fonctionné. Prudemment, nous progressions vers la voiture qui avait répondu positivement aux clés de contact que j'avais trouvé. Les zombies ne nous avaient pas encore repéré.

Le zombie, abruti par définition, mais tellement effroyable. On se demande comment les héros de films du genre arrivent à se faire coincer et dévorer. Mais quand on est dans leur situation, on ne pense jamais à tout, et puis vient se greffer la panique, le stress et surtout le nombre d'opposant sortis des cimeterres. Ils sont peut-être lents, cons et dénués de conscience, mais ils sont terriblement nombreux. Nombreux et mortels. De ce que j'en avais vu, une seule morsure suffisait et l'on finissait condamné à finir comme eux. Enfin, quand on avait pas la malchance de finir en hachis parmentier.

 

Bref, pour l'instant la chance nous souriait. Nous étions dans la voiture sans encombres, rassurés. Stéphanie était à l'arrière et par réflexes était en train de verrouiller les portes, et mon Will était avec moi à l'avant.

 

La voiture toussota mais démarra presque aussitôt. Notre bonne étoile avait décidé de nous sourire pour le moment, c'était une bonne chose. Et que rêver de plus, on avait quasiment le plein. C'est beau quand tout se déroule à merveille.

 

Mais il fallait rester concentré sur ce que nous allions faire. Après tout, il y a peine quelques jours, nous sortions d'un grave accident de la route. Will se tenait d'ailleurs l'épaule qui avait été démise lors du crash. Je pris la sortie de l'aire de repos.

 

« tu te rappelles comment aller dans la maison des ordures qui t'ont suivi, Stéphanie?... Lui demandais je en me retournant.

- oui, je crois... »

 

...

 

Nous avions tourné un peu plus d'une heure pour trouver le bon chemin. Mais Stéphanie finit par nous indiquer le bon sur ses propres souvenirs. Je crois bien que Will avait du fumer un paquet de cigarettes en entier pendant le délai de route. La maison était dans un hameau, bien à l'écart des autres, quasiment au milieu des bois d'après ce que nous avait dit Stéphanie. Une fois que nous nous trouvions à moins d'un kilomètre et demi, à peu près, je stoppais la voiture. Nous allions faire le reste à pied. Les zombies n'avaient pas l'air d'être trop nombreux dans le coin. Bien sûr, de temps à autre nous entendions un râle ici ou là, preuve qu'ils étaient tout de même les maîtres de ces bois. La maison était désormais visible au travers des branches.

 

« Bon... Y a plus qu'à, comme on dit, hein? Dis-je en me tournant vers mes deux compagnons. Ils étaient tous les deux en train de regarder sur le côté.

- Oh mon dieu la pauvre... avait dit Stéphanie d'une toute petite voix en indiquant l'endroit qu'elle regardait. »

 

Je me tournais et vit une jeune femme qui approchait. Sauf que ses yeux étaient bleu comme la mort, une partie de son coup était manquante et ses viscères la suivait comme autant de petits chiens dociles.

 

le récit précédent

premiere partie de l'histoire





22 juin 2007

laquelle?

Quelques semaines auparavant – autrement dit, une éternité perdue dans les brumes d’autrefois - j’aurais été choqué au delà de toute mesure à cause du récit pitoyable, pathétique et révoltant que je venais d’entendre.

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Du temps de ma normalité chérie – paix à son âme et paix à l’âme de tout ce que nous avions connu auparavant (amen) – un tel récit aurait été pour moi le comble de l’abomination, élevé tel que je l’ai été dans l’idée que s’il est naturel qu’un homme aie des pulsions, il est bien évidemment inacceptable qu’elles le conduisent à forcer une femme, abjection des abjections qui n’est surpassée en ignominie que lorsque la pulsion en question se porte sur un enfant.


Parlons en, de mômes. C’en était une, Stéphanie, lorsqu’elle nous racontait son récit. Courageuse, la petite, certes. Et gonflée, aussi. Chanceuse, à sa façon. Mais la façon dont la lueur jouait sur ses joues pleines, la fragilité et la peur enfouie dans ses yeux noisettes lorsqu’elle nous racontait cette succession d’événements inacceptables, ce tremblement éphémère de la bouche qu ‘elle eût, à un moment de son récit (et d’éjaculer sur moi…après avoir besogné ces pauvres filles pendant de longs moments…)  tout cela appartenait au domaine d’une enfance refoulée, d’une gamine trop vite grandie mais qui n’attendait certainement qu’une chose, retrouver sa mère, pour aller fondre en larme dans ses bras chauds. Pauvre petit bout. Sales types. Crevures, ordures, milles fois damnés soyez vous, pourritures.


Seulement, toutes ces horreurs que nous avions déjà vécu, tous ces cadavres côtoyés, le fait que j’avais dû payer de ma personne pour sauver la vie d’un ami – n’en ressentant au final qu’un brève gloriole faisant vite place à un sentiment de vide – le fait que deux types se soient fait suriner et dévorer, là, dehors, à même pas vingt mètres après nous avoir affronté – lame de faux sortie, coup de feus tirés, tout les ingrédients d’un film d’action de mauvais goût réuni sous la blafarde lueur de notre parking esseulé – tout cela se mélangeait à la douleur, l’amertume, et une immense fatigue. Je crois, tout simplement, que je commençais à me sentir désabusé. Fatigué, désabusé, et découragé. Si je devais devenir un « cynique », certainement prendrais-je vite la gueule de l’emploi. Ces gens là, on les imagine toujours une clope au bec, qui pendouille sur leur sourire mi-triste mi-moqueur, non ? Ça serais tout moi, ça. Et je devais aussi commencer à me sentir désorienté au delà de tout. Je l’étais déjà avant, mais là…sortir de sa petite vie tranquille pour intégrer un cauchemar grotesque ou marchent les morts et s’effondrent les nations, tenter une expédition hasardeuse sur les routes de Gaulle pour retrouver ses géniteurs et collatéraux pour se retrouver coincé sur un parking transformé en cimetière pour undeads en goguette sortis des jeux de rôles de notre adolescence, sauver la vie d’un vieux pote devenu flic du métro et  se retrouver avec lui à écouter les récits érotico-pervers d’une bande de pedzouilles qui n’ont rien trouvé de mieux, dans ces conditions, que de laisser parler la bête qui est au cœur de chaque homme et de martyriser trois jeunes femmes, ça fait tout de même beaucoup pour un seul homme.


Bizarrement, depuis un bon bout de temps par contre, les morts nous niaient…On devait être appétissant mais trop peu accessibles à leur goût. Ils avaient donc fini de taper dans cette grille à la noix et de taper sur mes nerfs par la même occasion. Cela me permettait de me rattacher à deux choses – un café noir et une cigarette, deux des plus splendides inventions de l’homme. Du moins, avant les années 2000 et ses chasses au sorcières écolo-moralisatrices.


Voilà. Ce récit me laissait vide, vaguement écoeuré. Honteux, aussi. D’être un homme, je veux dire. Les femmes ne font pas, ça. Ou, du moins, très rarement. Et il me laissait bien évidemment très inquiet, aussi. Pour Katalina, je ne sais où, avec je ne sais qui. Idéalement, elle était à présent avec sa famille de costauds rougeauds des Sierras ensoleillés de là-bas en España (ole). Idéalement. C’est beau, les idéaux, ça rend la vie plus belle, mais je n’avais en fait aucune preuve qu’elle ne soit pas plutôt quelque part, les vêtements déchirés et les cheveux défaits, séquestrée et attachée en attendant de servir à nouveau d’esclave sexuelle offerte aux hell’s angels de cette nouvelle apocalypse. Je n’en savais rien, après tout. Fichtre, foutre rien. Quelle belle existence qu’était la nôtre, désormais. Un délice. Mais, de cette révolte absolue, de cette dénégation - la bouche en O indigné - qui aurait été ma réaction avant devant ce récit infâme, ne restait plus dans l’ensemble que ce vague sentiment de vide et de malaise. Et une sourde détermination à faire quelque chose pour les deux autres filles. Je savais pas encore quoi. C’était l’autre, le flic, pas moi. Moi, dans la mauvaise farce qui se jouait  j’étais l’ami fidèle. Dans ce Road-Movie macabre, porté à l’écran, mon nom serait certainement mis en deuxième sur l’affiche. Probablement. Et je m’en foutais. Rien d’autre ne comptait pour l’instant que ce café noir, chaud, et cette cigarette qui grésillait.


Je m’étais abîmé quelques temps dans des refléxions – m’interrogeant sur le fait que l’humanité méritait ou pas d’être sauvée, après le récit de telles horreurs, concluant que oui car nous étions également l’espèce ayant inventé les peintures de la chapelle sixtine, la Guerre des Etoiles, et le chili con carne de ma mère et sur concluant que toutes ces réflexions étaient certes justes mais bien futiles – lorsque je pris conscience qu’une autre cigarette grésillait, d’ailleurs. Sacré Stéphane. Il s’était remis à fumer. Toujours une bonne excuse. Le stress, le boulot, et maintenant, les zombis. Il était assis sur l’une de ces chaises rouges du comptoir, le regard scrutant à travers la grille les derniers émoluments de nos-nouveaux-amis-les-zombis, et il avait du chiper l’une des cigarettes du paquet que j’avais laissé sur le comptoir en zinc. Je décidais de crever l'abcès, et de rompre le silence également.

  • « Et ben…tu te rends compte ? »

  • « Ouais…quels bâtards … »

Il daigna cesser de fixer la grille de fer terne et posa son regard sur moi. Immédiatement, nous nous comprîmes. Évidemment. Son regard était aussi pensif que devait être le mien…Nous restâmes ainsi, à communiquer sans parler, de cette étrange télépathie qui semble toujours se développer entre de vieux frères d’armes qui sont allés au feu ensemble. Du moins, si il faut en croire les films de guerre.

  • « Laquelle en premier, tu penses ? »

Ah, dilemme. Le même dilemme habitait son esprit que celui qui hantait le mien. Avant toute chose, avant de parler organisation, de savoir comment nous allions atteindre une voiture sans risquer de se faire mordre – bordel pourquoi une morsure suffit t-elle à ce qu’on soit foutu pourris bon pour la casse – avant de savoir ce que nous allions faire d’elle, avant de savoir si nous partions à deux – ce qui était du suicide – ou à un seul – là il faudrait inventer un concept au delà du suicide – ou à trois ce qui exposerait la jeune femme de nouveau au danger. Avant même de savoir précisément où toute cette désolante histoire s’était déroulée en interrogeant Stéphanie – assez prêt d’ici en tout cas, vu les routes infestées de morts vivants qui rendaient peu plausibles un long périple-poursuite. Avant tout cela, la première question était donc surtout celle-ci. Deux jeunes femmes. Laquelle en premier ?


Après quelques secondes de réflexion, je livrais enfin mon sentiment à Stéphane.

  • « Le problème, c’est que celle qui est dehors, dans la forêt, risque bien plus. A tout moment, elle risque de se faire choper par des macabes, et là c’en est fini d’elle. Je le sais, et tu le sais. Après, rien ne dit qu’il y en aie là ou elle se trouve. Elle affronte un plus grand danger, si elle n’est pas déjà morte. L’autre, elle ne risque – et pardonne moi ce « que » - après tout que de se faire violer de nouveau par un de ces fils de pute. Y-a un problème de degré de gravité. »


Stéphane acquiesça lentement.

  • « C’est sur que celle qui se trouve dehors, je ne compte pas cher de ces abattis si personne ne fait rien rapidement. Et les seuls qui savent ce qui se passe, c’est nous. Et la seule qui sais ou elle est, c’est Stéphanie… »

  • Tiens, je n’y avais pas pensé, à ça. Je ne pouvais apparemment vraiment pas rivaliser avec l’esprit pratique et directement collé à l’action, ses conséquences et ses aboutissements, d’un flic de terrain. Bien sûr, nous ne pouvions pas nous contenter d’errer et espérant trouver la portion de forêt concernée ou le lieux de torture et de séquestre. Comme des imbéciles, alors que la mort-qui-marche envahissait tout et partout comme une nuée de sauterelles nauséabondes. Cela réglait le problème de Stéphanie. Nous partirions à trois. Autant pour l’idée de la laisser ici à l’abri derrière la grille. Elle viendrait avec nous. La seule excuse qui permet à deux jeunes (enfin, encore à peu prêt) mâles bourrés de testostérones d’amener avec eux une jeune fille dans un lieu de danger et de périls, c’est lorsqu’il s’agit de sauver la vie de deux autres jeunes filles.

  • « Après » repris-je « le soucis c’est aussi un degré d’urgence et de facilité. Celle qui est dehors est peut être en grave danger, mais peut être que pour l’instant ça peut encore aller pour elle. On sait pas. Alors que l’autre, rappelle toi ce que nous a dit Stéphanie…c’était une loque, la volonté brisée. T’es flic, tu sais bien que quand on arrive à les rendre comme ça…à la moindre occase elle risque de se foutre en l’air, tu vois le truc ? Or, si j’ai bien suivi, il ne restait qu’un seul de ces tarés avec elle. Les autres sont en train de se faire digérer, à l’heure qu’il est … »

  • « Bien fait pour leur gueule ! »

  • « Clair. Mais en attendant, il suffit de nous rendre, dans cette cabane cette vieille baraque ou que sais-je, guidés par Stéphanie. On est deux, on maîtrise facilement ce désaxé, celui qui reste, on libère la première et on part tous les quatre dans la forêt. Chercher la dernière. Ça peut aussi sembler plus logique comme ça. Et qui sais, le dernier cinglé va peut être se lasser d’elle et la tuer. Pour finir, si la première court un danger encore plus aigüe, il est plus incertain. La deuxième court un danger absolument certain. Si on ne fait rien, elle finira par devenir complètement démente, ou il finira par la tuer…Ça finira forcément mal ».

  • « Il…on sait pas, après tout, ils étaient peut être plus que trois. Stéphanie en a vu trois, mais d’autres vont peut être venir se joindre à la fête ».

  • « C’est sûr…mais il faudra tôt ou tard courir le risque ».

  • « T’en fait pas, vieux. J’ai une pétoire. Et si mes balles sont sans effets sur les macabes, les vivants, eux, les digèrent assez mal. »


Il accompagna sa sortie d’un clin d’œil et j’y répondis d’un bref sourire entendu…Ce clin d’œil n’était pas chose anodine. Il annonçait un soudain revirement de notre humeur, vers plus de légèreté. Après tout, advienne que pourra.


  • « Après être venus tous les deux, traverser la France infestée de zombies pour tenter de retrouver nos vieux, après cette sortie pour sauver Steph, et maintenant, partir à la rescousse de deux autres jeunes femmes. Hé, mais c’est qu’on devient des héros, hein, Stephy-boy ? »

  • « J’te l’ai toujours dit qu’on était bons ! ».


Une autre des questions que je m’étais parfois posées au cours de mes divagations sur la cinématographie appliquée à la vie réelle, c’était de savoir si dans certains cas, certaines personnes pouvaient effectivement, face au danger, faire preuve de ce détachement, de cet humour qui est l’apanage plein de morgue des personnages principaux de certaines œuvres de fiction. Maintenant, je sais.


Mais, la question restait en suspens.


Je captais de nouveau le regard brillant de Stéphane.


Lançant le menton en avant en essayant de me donner un air décidé, je réitérais alors.

 

  • « Bon, en attendant…Laquelle ? »


Première partie de l'histoire : ICI





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1 mai 2007

premiere partie

Voici les differentes aventures de nos deux survivants "Will et Stef" à la suite les unes des autres, pour vous permettre une lecture plus saine et plus facile de "alone in the dead"... Ces différents messages viennent s'imbriquer dans une section baptisée "table des matieres". En attendant la suite...

fille_zombies

CHAPITRES:
1. Constatations étranges
2. résultats de l'autopsie
3. une nuit de service calme
4. une banale journée d'hiver
5. une suite d'évenements étranges
6. l'horreur se répand
7. superstitions
8. le début de la fin
9. Dante et Virgile
10. barricades
11. highway to hell
12. staying alive
13. le chemin du calvaire
14. la cafétaria
15. l'offrande
16. "on fait pas d'omelette sans casser des oeufs"
17. salvatrice adrénaline
18. un survival... un!

zombies_1

5 avril 2007

Un survival… Un !

(…) Bon, Il était clair que cette fois j’avais côtoyé la mort de près. Sans l’intervention de Will je ne sais pas si j’aurais réussi à m’en sortir. Mais toujours est il que c’est le cas, et que nous avions même réussi avec brio puisque Stéphanie était présente avec nous.

Elle avait eu une réaction de recul au début quand elle a repris ses esprits, mais nous venions de lui sauver la vie et peu à peu elle s’est rassuré et à consenti à nous faire confiance. Elle semblait encore sous le choc. Toutefois elle avait pu nous donner son prénom : « Stéphanie », prénom ravissant, enfin je dis ça sûrement parce qu’il est très proche du mien.

Pendant qu’elle se remettait, je préparais un peu de café, histoire de calmer les esprits et j’allais voir mon pote, qui se tenait l’épaule. Il avait l’épaule bleue et enflée. En tâtant j’avais l’impression qu’elle s’était remise en place toute seule, restait à voir si cela c’était fait dans de bonnes conditions et rien ne s’était coincé quand l’os s’était remis dans son emplacement. Je récupérai un torchon pour immobiliser son bras, et lui fis bouger les doigts pour voir si tout circulait correctement.

« Tu crois qu’elle va s’en remettre me dit Will pendant que je lui immobilisais le bras ?…
- Je ne sais pas elle a l’air en état de choc… Au fait… Merci pour tout à l’heure, je ne…
- Non dis rien c’est normal, tu aurais certainement fait pareil à ma place, me dit mon ami en me regardant droit dans les yeux comme si nous étions deux êtres au même destin.
- Repose-toi un peu pendant que le café finit de couler, tu l’as mérité. » En disant cela je jetais un coup d’œil furtif à la grille où nos amis d’outre-tombe avaient repris le même type d’ activités que d’avant l’accident.

Une fois le café fini, je servis trois tasses que je mis sur un plateau et je posai la cafetière sur le plateau pour que tout le monde puisse se servir.

Stéphanie pris sa tasse tout en restant un peu dans le vague. Je la regardais, elle devait être jolie un peu mieux arrangée. Ce n’étais pas un « canon » comme on dit d’habitude mais elle avait le charme de la jeunesse que possédait les filles d’une vingtaine d’années. Elle semblait avoir traversé de terribles épreuves. Elle avait les cheveux sales, une chemise et un pantalon trop grands pour elle, et des ecchymoses sur toutes les parties visibles du corps. Ses yeux noisettes étaient cachés par les cheveux qui lui retombaient sur le visage.

«  Je… Je vous… remercie, dit la jeune fille tout en regardant son café en brûlant émettre des volutes provoquées par la chaleur de celui-ci. Celle-ci releva un peu la tête pour nous dire cela.
- De rien, tu sais nous avions la possibilité de le faire, alors on l’a fait. Il se peut bientôt que l’on ne rencontre plus que des morts autour de nous. Dis-je en la regardant. Et puis, j’ai toujours mes vieux réflexes de flic et Will, ici présent, à trop bon cœur pour laisser une jeune fille sans défense se faire dévorer par les zombies qui nous entoure.
    - Bon cœur peut être ! Mais l’épaule détruite dit-il en s’allumant une cigarette.
    - Tu as de la chance, j’ai l’impression que l’épaule s’est remise dans son emplacement toute seule. Reste plus qu’à espérer qu’elle n’est pas coincé une veine ou un nerf. Essaye de ne pas bouger ! » lui dis-je en tournant la tête vers lui.

Quelques minutes passèrent… Je servis une deuxième tasse de café à tout le monde.

    « Je m’appelle Stéphane et voici mon pote William. Je travaille comme flic dans le métro sur Paris et William travaille au « trésor » dans la banlieue parisienne. Suite aux récents évènements qui ont conduit à l’apparition de nos compagnons d’outre-tombe et à leur victoire face à l’humanité, nous avons tous les deux décidés de faire une traversée infernale pour rejoindre notre limousin natal et voir si nos familles respectives avaient pu réchapper de l’apocalypse. En gros, voilà pour le début. Ensuite nous avons eu un accident lors de notre voyage qui nous a conduit ici non sans problèmes. Et depuis quelques jours, nous nous demandions ce que nous devions faire jusqu’à ton arrivée.
    - les morts s’accumule depuis autour de cette cafétéria comme autant de mouche autour d’une crotte de chien, dit Will en éteignant sa cigarette.
    - Je m’appelle Stéphanie, vous le savez déjà. J’ai dix-neuf ans tout rond depuis trois mois à peine. J’étais venu passer des vacances chez de amis de mes parents quand tout s’est déclenché… J’ai vu la famille qui m’a accueilli se faire dévorer, par leurs propres voisins… C’était horrible… En disant cela, elle se passa une main dans les cheveux et regardait le sol carrelé.
    - Mais pourquoi ces deux individus belliqueux te poursuivaient ils ? Lui dis je.
    - Ils… »

On voyait que cette partie de l’histoire allait receler un drame. La jeune femme hésitait à parler, ou ne pouvait peut être pas le faire. Des larmes montaient au coin de ses yeux. Et elle ne nous regardaient plus du tout.

    « ils… Ils m’ont séquestré… »

L’évidence de cette affirmation nous laissait tous les deux comme des abrutis. Ca coulait de source. La poursuite, et tout le reste, nous offrant les pires suppositions quant à ce qu’avait pu subir la jeune femme. Souvent, dans les moments de crise l’humanité se révélait être son propre cauchemar. Finalement, ces deux hommes avaient peut être été punis comme il se devait.

Quelques minutes passèrent et elle reprit la parole. Il n’était sûrement pas évident pour elle de se confier à deux inconnus même si ceux-ci lui avait sauvé la vie.

    « Quand tout à commencer à aller mal, les amis de mes parents sont allés jeter un coup d’œil chez les voisins car l’on avait entendu des cris étranges. Les zombies étaient déjà présents et ont pris leur petit déjeuner avec les visiteurs. J’ai voulu revenir sur mes pas mais j’étais déjà encerclé, alors j’ai couru. J’en ai sûrement percuté un qui me barrait le passage et j’ai réussi à m’éloigner. J’ai erré quelques temps jusqu’à que j’ai croisé la route de deux hommes qui étaient armés de fusils. Je pensais être sauvée…. En fait, ce fut pire que tout. Ils m’ont assommé…. (elle reprit sa respiration avec un soupçon d’émotion dans l’inspiration).
    - Il y avait deux autres jeunes femmes avec moi, l’une d’elle était à moitié dénudée avec le reste de ses vêtements déchirés. J’ai senti la panique m’envahir. Surtout qu’elles ne parlaient pas. Celle qui était presque nue était en état de choc et l’autre était encore évanouie. On était toutes attachées les mains dans le dos. Ca paraît tellement facile dans les films de se détacher mais quand dans la réalité vous êtes dans cette situation, plus vous forcez plus vous resserrez les liens qui vous paralyse. Quelques heures sont passées et puis mes geôliers ont donné leurs premiers signes de vie.

Ils sont arrivés bruyamment, ils avaient certainement bu de tout leur soul. La fille qui était à moitié nue, se mit soudainement à crier et à s’agiter. Je me doutais de ce qui allait suivre. Ils me regardèrent et déchirèrent mes vêtements pour que « je réfléchisse à ce qui allait m’arriver d’ici quelques temps », l’un des deux, celui qui avait tenu la faux me pétrit les seins et commença à me tripoter plus en profondeur, pendant que l’autre celui qui conduisait la moto se jeta sur la fille qui avait vraisemblablement déjà connu le pire. Puis celui qui était sur moi, détourna la tête vers ma voisine et me dit : « j’espère que cette mise en bouche t’a fait mouiller ma salope ? ». Il baissa alors sont pantalon, l’enleva et se détourna de moi pour violer et frapper la fille a coté de moi qui n’avait apparemment pas encore tâté de cet exercice…

La séance a certainement duré plusieurs heures, pendant lesquelles ils se sont soulagés. J’ai eu de la chance dans mon malheur, parce qu’ils ne m’ont pas touché ils sont juste contenté de m’aligner quelques gifles, de frotter leurs sexes dans mes cheveux, contre mes seins et d’éjaculer sur moi après avoir besogné ces pauvres filles pendant de longs moments.

Après cette séance sauvage, ils nous ont jeté des mars et d’autres barres du même genre et sont repartis. Nous sommes restées de nouveau seules quelques temps. Nous avons eu également la visite d’un troisième individu, qui lui n’a pas fait de fioriture, il était venu seulement pour se soulager, il a jeté un dé par terre, et après avoir lu le résultat, a pris ma voisine qui s’est laissée faire encore sous le choc de la première séance. Tout s’est agité dans ma tête, un long moment est passé, et le troisième homme est revenu nous voir avec de la bouffe. Il semblait ivre et tenait à peine debout. J’ai alors saisi ma chance. Je lui ai fait des propositions malhonnêtes, en lui laissant entendre que s’il me détachait je lui ferai une petite gâterie en échange de rabio de bouffe. Peu méfiant il s’est approché de moi, m’a détaché et à commencer à défaire son pantalon devant moi. Je lui ai porté un coup aux testicules de toutes mes forces, il a esquissé un cri et puis il est tombé dans les pommes. J’ai libéré mes compagnes de détention, l’une d’entre elle était tellement choquée qu’elle n’arrivait même plus à bouger un doigt. Nous sommes monté avec l’autre au rez de chaussée. Pas de bruit. Nous avons fouillé un peu partout pour trouver des vêtements un peu trop grands mais propres, nous avons mis des barres de céréales dans nos poches et puis nous sommes sorties.

Il y avait une moto devant nous. J’avais vu mes frères faire ça des millions de fois au moins, sans parler des fois où ils me laissaient faire quelques tours avec eux. Mais comme on aurait pu s’en douter, ce fut à ce moment là que les deux autres trouvèrent leur moment pour revenir. On se planqua dans la remise attenante à la maison tant bien que mal car ma sœur d’évasion, à leur vue, sentait ses jambes se dérober. Mais il fallait que l’on parte avant qu’ils se rendent compte que leur copain était inconscient en bas. J’enfourchai la moto des deux qui venait d’arriver et la démarra. Mes geôliers en entendant cela crièrent et se précipitèrent vers moi sans nul doute. Je tendis la main vers ma compatriote qui hésita un instant, me regarda, moi, puis la maison et en fin de compte, me tourna le dos et s’enfuit dans la forêt proche. J’ai démarré, ils m’ont poursuivis et puis le reste vous le connaissez… »

Mon dieu. Comme la nature humaine pouvait se révéler perfide en situation de crise. Ce petit bout de femme avait vécu une horrible situation qui l’avait sans nul doute fait vieillir d’un coup. Tous les mots que nous pouvions dire ne saurait la rassurer. Du coup, je taxais une clope à mon ami. Nullement l’intention de reprendre, mais fumer pouvait parfois détendre et offrir un peu de lucidité à un esprit torturé. Je la regardais, pourtant si faible, et quoiqu’on en dise héroïque. Je lui dis : « si tu veux, va prendre une douche, elles fonctionnent. Elles se trouvent à coté des toilettes. Du coté de la station service. Nous avons sécurisé la zone avant ton arrivée… »

Pendant qu’elle s’éloignait je regardais mon ami en lui taxant une autre cigarette pour me remettre moi aussi de toutes ces émotions. En pensant tout haut : « scénaristes !!!… Voulez un film ??… et bien voici Un survival, Un !!!… »

le chapitre precedent

23 mars 2007

Salvatrice Adrénaline.

 Dans la vie, on se retrouve parfois confronté à des dilemmes et des cas de conscience. Et tel ne fut pas mon cas. Je dirais même que le choix fut enfantin. Quel choix ? C’est simple ; arrivé à la grille de notre caféteriat grillagée, je me retournais pour embrasser du regard cette situation qui à l’horreur habituelle avait ajouté chaos et confusion, notre duo masculin d’accidentés de la route s’étant vu soudainement augmenter de trois personnages – une accidentée de vélomoteurs et deux autres accidentés - de moto cette fois-ci – ces derniers étant à n’en pas douter à compter parmis les bad guys.

L’une de ces deux petites frappes de la cambrousse profonde était déjà en train de regretter amèrement sa chasse à l’homme – à la fille pour être plus précis. Celui que faute de mieux je surnommerait le « faucheur » glapissait, ululant des cris inarticulés, des borborygmes étranglés, comme si tant d’épouvante n’arrivait pas à franchir sa gorge, pendant que les morts-vivants s’étaient refermés sur lui tel un piège cadavérique aux dizaines de bras, de jambes, et de mâchoires. A peine était t’il happé dans cette gangue de chair morte qu’ils se repaissaient déjà de lui, qui accroupi et déchirant la chair du bras, qui allongé sur lui et dévorant l’épaule, en une masse d’individus telle que les soubresauts sporadiques d’agonie terrorisée du voyou du dimanche ne lui étaient d’aucune aide. Je ne le distinguais plus très bien sous l’enchevêtrement de ses agresseurs cannibales. Et je n’y tenais pas.


Seul, de toute évidence, une dizaine ou quinzaine de secondes séparait la situation du deuxième loubard de celle de son infortuné compagnon d’escapade. Et ce court laps de temps écoulé, il serait à n’en pas douter en train de hurler lui aussi  les mêmes bruits de gorge ignobles et abjects de victime dévorée vivante par les défunts. Après la chute de moto, désorienté et certainement sonné, il avait tenté de se redresser pour agir et sauver sa peau, mais immédiatement, dans son affolement et sa panique totale, il avait glissé et tâté à nouveau du sol, le choc ayant finalement été plus fort que l’instinct de survie,  pendant qu’un groupe de zombies dont les membres étaient peu ou prou aussi nombreux que ceux qui boulottaient son compagnon refermait le cercle formé autours de la proie en détresse. C’est là que j’eusse pu agir, pour détourner leur attention, tenter quelque action inconsidérée. Mais bien évidemment, ce ne fut pas le cas. Je l’ai dit, aucun dilemme. Pas seulement parce qu’il était certainement une ordure, et parce qu’il poursuivait une jeune femme terrorisée sur les routes d’une nation en ruine. Non, j’ai beau penser vite, je n’ai pas eu le temps de me poser le problème sous cet angle. Ou du moins si, mais de manière lapidaire. Si je l’abandonnais brutalement à son sort sans état d’âme - bah qu’il crève - c’est avant tout, et surtout, parce que non seulement lui et son faucheur avaient essayé de nous tuer, mais qu’en plus de cela un autre être humain risquait d’être bientôt sollicité par l’appétit vorace de nos chers disparus, et que cet être humain, c’était Stéphane.

 

 


Il y avait une certaine beauté théâtrale dans la scène que présentait Stéphane, un genoux à terre, l’arme à la main après avoir fait si joliment mouche sur nos agresseurs motorisés. Ces barbares des temps modernes étaient en train de nous filer dessus avec leur arme - de fortune, mais néanmoins formidable - lorsque le calibre 9 mm les avait stoppé net dans leur cavalcade. Du Sig Sauer s’échappait encore un léger filet de fumée. Joli sang froid, et très joli tir. Certes. Il n’en restait pas moins qu’une demi douzaine de morts vivants avaient prit pour cible de leur appétit insane le policier et l’ami qui venait de nous sauver la vie. Un groupe de morts vivants trop éloignés des deux motards au moment du crash pour les prendre en ligne de mire directe, très vraisemblablement des défunts qui se tenaient un peu plus loin sur le parking, et qui ne faisaient donc pas partie de ceux qui lorgnaient sur nous depuis que Stéphane avait abaissé cette grille. Attirés par le bruit, le choc, l’odeur du sang, ils étaient soudain sortis de leur torpeur imbécile et, ignorés de tous lors de la confusion, s’étaient approchés au point d’être maintenant en train de former un demi cercle qui tendait déjà des bras affamés vers lui. A première vue, six ou sept mètres, un peu plus peut être, avant le contact. Et j’avais déjà pu constater qu’une fois très proche de leur proie, cette engourdissement cadavérique qui se manifeste chez eux par une extrême lenteur s’efface. Il fait place, devant l’avidité que fait naître chez eux la promesse d’un repas vibrant de vie, à une vivacité quasi normale, la même vitesse d’action qu’un être humain légèrement blessé et boitillant. Seul, donc, une dizaine de seconde séparait maintenant Stéphane d’une situation catastrophique. Car, faut t’il le rappeler, la moindre morsure serait lourde, très lourde de conséquences.

 

 Tout s’accélèra ensuite en un tourbillon d’évènements, en une spirale de faits enregistrés quelque part dans mon esprit pendant que le reste de mon intellect, lui, était occupé à travailler à plein régime, les sens en éveil et m’injectant des impulsions à peine une pensée était t’elle ébauchée. Une série de faits dont je me rappelle comme d’une série de diapositives à laquelle j’aurais prit part, entrecoupée de zones d’ombres, et d’autres au contraire d’une clarté sans faille. Cette fameuse perception relative, dont je parlais, d’un temps élastique. Précipitation, peur, indécision sur la marche à suivre, et pourtant acte entrepris et advienne que pourra, peur panique de mourir et néanmoins – contre ce que me criais mon instinct de survie – danger accepté et affronté. Tout le pannel d’émotions que peu ressentir celui qui doit agir de façon courageuse, mais n’est pas né pour être un héros. Courage, peut être, mais dû avant tout à la drogue de combat la plus efficace et la plus ancestrale qui soit, la plus ancienne et la plus répandue, universelle et qui se manifeste en nous non seulement pour sauver notre peau, mais également parfois pour tenter de sauver l’épiderme d’un autre, ce qui fait de nous, après tout, une espèce moins égoïste que ce que nous compte les pessimistes. J’ai nommé l’adrénaline, bien évidemment. Salvatrice adrénaline.

 

Salvatrice adrénaline qui me fit pousser notre princesse du macadam dans l’éclairage blafard de la caféteriat . Elle chuta, ses jambes tremblant certainement encore sous l’effet du choc et ma poussée ayant certainement été brusque, mais tant pis, il n’était plus temps de faire dans la dentelle. Puis je me retournai, trouille au ventre vite vaincue par cette étrange sensation grisante. C’est là que commence vraiment la série de clichés renvoyés de manière hachée par ma mémoire elliptique. Je me souviens avoir fait quelques pas en avant, encore indécis, tandis que mon esprit notait trois faits : Le premier, c’est que les cris du faucheur commençeait à atteindre ces sommets, ce climax, cette apogée dans l’horreur et la stridence qui précèdent toujours l’extinction totale ou la voie se brise, et la vie aussi. Le deuxième, c’est que les cris de son compagnon le pilote, pas seulement les cris de dénégations et de peur, mais ceux de douleur et de désespoir, avaient eux aussi commencé. Le troisième fait, c’est qu’en ayant fait ces quelques pas dehors, je passais seulement à quelques mètres de ces cauchemars ambulants. Appelation hasardeuse, ceci dit : jamais mes cauchemars n’ont jamais été si terrifiants. 

 

 

 C’est à ce moment là que je vit la faux. Je jure que j’ai eu le temps de me faire toutes ces réflexions. Comme si l’homme, prit dans le feu de l’action, délaissant mentalement ce qui n’a pas d’importance, se voit allouer le temps de réfléchir en profondeur aux choses qui, elles, peuvent en avoir, et cela en un laps de temps record. Il s’agissait d’une faux de campagnard, un outil qu’on utilise plus de nos jours, mais qui étrangement semblait à peu prêt bien entretenue. Pas la faux rouillée et envahie de toiles d’araignées qu’on trouve dans la vieille grange de grand papa qui est resté à la campagne – ah, ma bonne dame, c’est pas prudent à son âge, vous savez. Non, pas ce type. Une arme encore bien métallique, tout juste rongée d’un soupçon de rouille, histoire de dire. Evidemment, donc, efficace. Diablement efficace, de balancer ce type de joujou un peu trop coupant. Surtout dans une masse compacte. De quoi trancher un homme en deux. Alors, si l’homme est déjà à moitié pourri sur pied, qui sait, plusieurs d’un coup. Je n’irais pas jusqu’à 10 (strike !). Mais plusieurs, envisageable.

 

 Seulement, moi, je n’étais pas dans un aussi bon état que l’arme en question. Faut t’il rappeler mon côté et mon épaule luxée ? Avec une blessure du type de celle qui me torturait depuis l’accident, il était absolument impensable pour moi de manier une arme aussi lourde. Surtout si l’on prend en compte le type de mouvement –

 

 sollicitant une grande mobilité et une grande rotation du torse – requis pour utiliser efficacement une faux en tant qu’arme de fortune. Qui plus est, quand bien même eu-je été en état de la manier, le risque aurait été bien trop grand pour moi de le faire. Ce genre d’arme est efficace pour tuer un voir plusieurs adversaire très rapidement, en un coup très large et mortel. Mais ensuite, sa lourdeur et sa non maniabilité nécessite un bien trop grand laps de temps réarmer pour un coup. Et cela même pour quelqu’un en pleine forme. Alors, imaginez un blessé. Il convient d’ajouter que ma main serait déjà mon tonfa – de manière si forte que mon bras tremblait et ma main me faisait mal – lorsque je passais prêt de l’arme. Je ne me rappelais pourtant pas du moment ou je l’avais dégainée, mais elle était bien là. Pour finir, le temps pressait. Me baisser pour ramasser la faux, c’était perdre une ou deux secondes, et c’était donc jouer avec le temps, et avec la vie de Stéphane. Plus tard, au retour, me dis-je. Et, tonfa en main, je passais bientôt à proximité de la seconde grappe noireâtre et infâme. Celle que formait le second groupe de morts-vivants, celui qui emmenait de force vers le sol un hell’s angel pitoyable de province, ce ridicule ersatz de cavalier de l’apocalypse qui maintenant à n’en pas douter devait déféquer dans son pantalon.

 

 D’instinct, jusqu’alors, je ne m’étais pas précipité, même eu égard à l’urgence de la situation. Le faire aurait peut être attiré l’attention sur moi. Alors, je n’aurais pas eu d’autres choix que de voir cette adrénaline me quitter devant la panique, sa sœur ennemie, qui elle m’aurait fait agir n’importe comment au risque d’y passer aussi – et de quelle manière – ou de rompre les rangs en abandonnant notre sauveur. C’est pourquoi c’est au pas que j’avais commencé à me diriger vers Stéphane. Mais une fois dépassé les deux groupes atroces de morts-vivants agglutinés sur leurs deux victimes hurlantes, les choses changèrent. La situation devenait plus que critique et selon ce que mon esprit affolé me renvoya comme évaluation approximative du temps, seule une poignée de secondes nous séparait maintenant du drame. Stéphane avait commencé à se relever, blafard. En homme d’action habitué au danger – je suppose que ç’était dû à cela – il avait assez rapidement intégré et géré le danger, et n’avait visiblement pas encore cédé à la panique plus que compréhensible de celui qui voit une demi douzaine de cadavres animés tendre les bras vers lui sur un parking perdu infesté de dizaines d'autres morts risquant eux aussi de se mettre en chasse à tout moment. Mais le soucis, c’est que les morts avaient commencé, en une approche tactique certainement involontaire ou instinctive - mais néanmoins efficace -à refermer leur demi cercle. Il  ne restait plus comme moyen d’échappatoire que de courir sur la gauche, au risque soit de passer dangereusement prêt des morts vivants occupés à dévorer les voyous, soit de s’aventurer plus loin sur le parking, en une plus large boucle pour rejoindre la porte de la caféteriat, ce qui était exclus bien évidemment. Non seulement y déambulaient des morts titubant, qui risquaient au passage de l’agripper, mais quand bien même leur aurait t’il échappé in extremis qu’il aurait fallu espérer que les morts vivants et leur mouvements erratiques, surtout ceux, nombreux, ayant fini leur immonde repas et se relevant, ne bloquerait pas le passage menant au sacro -saint sanctuaire grillagé. Stéphane était donc plus ou moins piégé, sauf en arrivant à briser ce demi cercle maudit et vacillant de moribond aux bras tendus et aux visages de cauchemars qui maintenant fondait sur lui. A tel point qu’il cria un juron –merde, pour être précis – et que sa voix se brisa en le faisant, la panique commençeant enfin à gagner la place qui lui était dûe en une telle situation ou elle se serait déjà emparé de n’importe qui sauf de quelqu’un de bien entraîné. C’est dire si j’arrivai à point nommé. Un vrai métronome. Parfaitement synchronisé, sur ce coup là.

 

 Et c’est ainsi que j’eu la réponse à une question que je m’étais posé toute ma vie. C’est le genre de question qu’on peut se poser, parfois, du moins lorsqu’on est d’un naturel rêveur et qu’on se gave d’une culture littéraire ou cinématographique emplie du culte des héros. De ce simple, direct, mais toujours efficace bon vieux culte du surhomme et du courage, qui transcende, fait soupirer d’extase un enfant, puis un adolescent. Puis un jeune homme. Qui engendre cette question, éternelle : et moi ?. Et si ? Et si moi j’étais confronté à une situation de réelle urgence, réellement critique, et qu’il m’était donné l’occasion d’agir ? Sans que cela soit pour sauver uniquement ma propre peau, auquel cas n’importe qui est capable d’exploits, auquel cas évidemment on ne peut parler de courage mais de survie. Mais pour sauver celle d’un autre ? Des milliers de fois des scénarios m’étaient passés dans la tête. Tout les clichés y avaient eu droit, de la jeune fille sur le point de se faire violer par deux individus louches dans une ruelle ombragée et que je passais à tabac jusqu’à ce qu’ils s’écroulent dans des poubelles odorantes, jusqu’au bébé vagissant dans une maison en flamme dans laquelle je m’engouffrais, une couverture sur la tête. Les yeux emplis de gratitude infinie de la jeune mère éplorée, et moi m’emplissant de ce simple bonheur, sans rien demander en échange. Dieu que ce serait bon, m’étais je toujours dit. Mais, et si ? Et si je passais la ruelle en feignant ne rien avoir vu, urinant de peur dans mes chausses en espérant que les voyous ne fassent pas attention à moi. M’écroulant de peur et de honte chez moi, n’osant affronter le regard de ma propre personne dans un miroir. Et si je refusais l’épreuve du feu, pour sauver ma propre peau désormais sans valeur, par veule couardise, condamnant une jeune chair bien plus tendre et bien plus innocente que la mienne à être grillée vive. Et si ? Telle fut cette question qui a la vérité m’a toujours taraudée. Telle furent mes rêves, telles furent mes angoisses, depuis toujours. Et maintenant, je sais. 

 

Jamais par le passé je n’aurais imaginé que l’épreuve aurait lieu sur le ciment du parking d’une aire de repos esseulée, à une dizaine de mètre de sa caféteriat, et encore moins que les embûches parsemées sur le dur chemin du courage seraient des morts-vivants, ces créatures qui avaient jalonné mes cauchemars d’enfance puis mes lectures ou mes visionnages de films d’horreur, d’épouvante ou de cette fantasy depuis toujours chère à mon cœur. Créature d’horreur absolue mais aussi créature imaginaire, jusqu’alors. Imaginaire, fantastique, appartenant au domaine du fantasme, de la rêverie, de la fiction la plus fantaisiste. Mais la réalité, le concret, s’était inversé, le vrai avait fait peau neuve, comme si le monde s’était retourné entièrement sur ses fondations pour laisser être vrai ce qui ne l’était pas et n’aurait jamais dû l’être. Et c’est ainsi que mon test de courage, pour savoir, enfin, devant le regard expectateur et dubitatif du destin si oui ou non j’avais du cran, ce fut ça. Courir, pourtant blessé, me jeter tout seul dehors, armé d’un tonfa pour sauver la peau d’un ami menacé par des zombies en surnombre, passant pour cela à côté de défunts encore plus nombreux et risquant à chaque seconde de se relever après leur macabre banquet, voyant plus loin sur le parking des zombies si nombreux que la raison vacillait de peur, et malgré tout courir, accélerer, ne penser à rien d’autre qu’à armer un coup, ne penser à rien d’autre qu’à…


L’Impact. Enfin, le contact, le choc, et un assaut ma fois considérable. Tout d’un coup, une libération en moi. Un regain d’énergie et de confiance. Ils sont lents. Ils sont si lents, si foutrement empotés et lents. On peut y arriver. On va y arriver. C’est la panique qui nous tue avant qu’eux ne le fasse. Je n’ai senti aucune douleur me déchirer le côté, étrangement, alors que j’ai abattu le tonfa en un arc de cercle diagonal, une courbe biaisée et descendante qui fauche le premier de mes nouveaux camarades de jeux sur le crâne. Pas assez fort pour lui fracasser le crâne, néanmoins. Un tonfa n’est pas une masse. Idiotement, il a l’air de rentrer la tête dans les épaules et tourne son gris visage vers moi. Affreux. Dieu qu’il est laid, édenté, dieu que ce regard est intolérable, le voile de la mort l’ayant coloré d’une teinte d’un laiteux maladif et malsain. Un regard qui semble presque surpris sous mon assaut imprévu. J’efface le regard d’un autre coup, un revers à la hauteur des yeux, justement. Un coup assené avec ce mélange de colère et de peur euphorisant, adrénaline, ma chère drogue de combat qui fait de moi un guerrier du macadam. Moi. Qui l’eût cru ?

 

 

 Mouché. Bien comme il faut. Il s’écroule. Aveuglé, peut être. Ils ne sentent pourtant plus la douleur, et le coup ne semble pas avoir fracassé le crâne non plus. Pas d’explication, il s’écroule c’est tout. Et tant mieux. Un autre mort est déjà en train de se tourner vers moi. Il se tient particulièrement courbé…peut être lui manque t’il quelques vertèbres, mais ce bossu du monde des défunts a également les bras levé, recourbés l’un vers l’autre en une sorte de pince dans laquelle, sans doute, il veut me donner une fatale embrasse. Je répugne à faucher celui ci du tonfa. Le revers ayant fauché le dernier me mettrait en bonne position pour enchaîner une attaque latérale classique, un coup droit, mais j’ai peur car ce genre de coup implique une rotation du thorax peu adaptée à ma blessure – je m’en suis bien tiré avec mon premier coup, celui qui a percuté le crâne du zombi que j’ai abattu ensuite d’un deuxième assaut – mais je ne voudrais pas tirer deux fois la queue du diable, ces petites bestioles là sont susceptibles. Qui plus est la façon dont il tend ses bras me fait redouter l’utilisation d’une arme trop courte. Il risque de m’agripper, ce vieux – très vieux – sagouin. Alors je lui donne un coup de pied. Classique. Une détente, toute bête, dans le milieu du corps. Je ramène le pied vers moi, puis je pousse vers l’avant. Je ne suis pas un expert en arts martiaux – dommage, vu les circonstances – mais je crois que ce genre d’attaque est prisée des aficionados du kick boxing ou de la boxe thai car il éloigne l’adversaire ou le fait choir, sans compter qu’il peut aussi lui couper le souffle. Je n’ai pas la deuxième prétention en déchaînant toute la force de ma ruade dans ses poumons morts et sans air (je suis moins idiot que cela, tout de même) mais j’ai tout de moins la première. Et là encore ça marche. Mon jour de chance. Salvatrice adrénaline.

 

 Le bossu est repoussé en arrière violemment dans un bruit mat et passablement écoeurant et ses vieilles guibolles rongées au ver ne le soutiennent pas d’avantage. Et il s’écroule sur son mort fessier. La scène aurait quelquechose de comique si l’on était pas dans une situation aussi foutrement périlleuse, atroce, et cauchemardesque.

 

 C’est là que le temps élastique fut prit dans un nouveau vortex et qu’il décida de passer au turbo. Lorsque juste après avoir fait chuter mon deuxième adversaire, un double tonnerre monstrueux explosa prêt de mon oreille gauche. Un vacarme assourdissant, qui par deux fois me crispa et me désorienta fortement. C’était la première fois, évidemment, qu’on shootait du 9 mm à cinquante centimètres de ma sensible oreille, et tympans enclume ou marteaux n’apprécièrent pas spécialement ce traitement outrancier, puisque c’est au trois quarts sourd, ahuri et presque sonné que je perçu le son étouffé que Stéphane produisit en tentant de me parler, et en me tirant le bras. Ce deuxième message était beaucoup plus clair. Il n’était plus temps de moisir ici et de jouer les héros. Et tant mieux car j’avais un soucis : le tonnerre de feu du Sig Sauer m’avait privé de ma chère compagnonne d’aventure : plus de salvatrice adrénaline…

 

 C’est d’ailleurs réellement, une impression de sortir d’un état second qui s’empara alors de moi. Comme si j’avais réellement été drogué, dopé, euphorisé. La trouille la plus terrible que je n’ai jamais éprouvé de ma vie monta alors en moi telle une bouffée de terreur indicible devant notre situation. Réellement, je n’ai jamais eu aussi peur que sur ce parking, à me retourner, tiré par le bras par mon ami policier, tournant le dos à des morts vivants distants de quelques mètres, voyant sur ma droite cette vision d’horreur absolue. Certains des membres de l’essaim grouillant de morts qui dévoraient les deux voyous commençeaient à se relever et à se tourner vers nous. Que dire de cette vision. Les cauchemars, après tout, sont des expériences éprouvantes mais généralement floues et imprécises. Mais être confronté à une vision digne du mauvais rêve d’un esprit malade ou torturé, et cela sous la lumière bien réelle d’un soleil d’hiver matinal, dessinant on ne peut plus nettement les contours de la scène épouvantable est une expérience non plus éprouvante, mais traumatisante. Se dessinant avec l’abrupte précision et la machiavélique exactitude de la réalité, s’offrait un spectacle qui m’aurait fait vomir sur place, si j’en avais eu le loisir. Tout ce sang vermeil bu par le macadam du parking, toute cette chair ravagée, arrachée, pendouillante et livide, cet amas de pulpe, ce si dérangeant blanc des os visibles sur les jambes rongées par les maccabées…le terme atroce poussé dans son sens le plus extrême ne parviendrait pas à décrire l’impression ignoble que laissait autant l’une que l’autre des deux dépouilles devastées, des deux charognes abominables autours desquelles se dressaient sur leurs jambes pantelantes ces créatures qui finalisaient le tableau de cet enfer sur terre ou nous étions plongés. Une masse compacte de spécimens tous plus terrifiants, monstrueux, difformes et répugnants les uns que les autres, formant presque un organisme précis, une entité de groupe dont les extensions étaient des membres décharnés - ou manquants - des yeux vitreux, ou là encore manquants, sur des visages morts, ravagés par vers et vermine. Parodies et pantomynes de vie, la mort s’amuseait à grimer la vie par autant de mimes et simulacres, le palais des glaces aux milles et un reflets ici devenait palais de l’angoisse au milles et une abominations. Que dire de celui qui apparement avait été arraché en deux par on ne sait quel procédé impie, suivi par sa colonne vertébrale, une queue osseuse et oscène, qui elle même trainaît dans la ligne de sang que formait sa reptation visqueuse tel un gastéropode sanguinolent. Ou du premier que j’avais remarqué en me retournant, tellement vacillant sur ses jambes qu’on eut dit qu’il se trémoussait sur quelques danse afro américaine syncopée, et dont les traits distinctifs étaient de ne plus avoir de mâchoire inférieure – au moins celui-ci ne pourrait plus mordre – et un globe oculaire gauche qui jouait au bungee sur la joue. La comparaison peut sembler amusante, mais multipliez ce tableau par 50 individus qui se tournent vers vous, se levant à quelques mètres après avoir boulotté deux types, pendant que vous en voyez – confusément, sur vos côtés, dans votre affolement – cent autres qui referment latéralement le piège et que pour finir vous entendez, derrière vous, d’autres morts prêt à refermer leurs mains glacées sur vous et vous comprendrez aisément que ce n’est pas exactement le fou rire qui me guettait.

 

 Heureusement, Stéphane était là, à me tirer par le bras, heureusement, il semblerait que nous ayons eu du cran jusqu’à présent et que nous n’étions à priori pas du genre à céder à la panique idiotement, frousse du siècle ou pas. Et, heureusement, là encore la situation ne me fait pas mentir. Instantanément je m’arrachait à la fascination morbide – qui avait duré en tout moins d’une seconde – dans laquelle cette vision quasi apocalyptique m’avait plongé, et je me mit en devoir de courir auprès de Stéphane vers notre salut.

 

 Ensuite, tout alla encore plus vite. Je n’eût pas le temps de me poser de questions, en me précipitant derrière Stéphane en direction de cette grille ouverte qui s’encadrait à ma vue comme un hâvre mille fois désiré qui repousserait l’échéance de cette fin terrible à laquelle il semblait que nous serions tous destinés tôt ou tard. Le moment le plus atroce fut bien évidemment lorsque nous fûmes contraints de passer à proximité du musée des horreurs. J’en avais la colonne vertébrale littéralement surchargée d’electricité tellement je crevais de trouille. On utilise parfois dans les romans le terme de peur « palpable ». Je comprend maintenant pourquoi. Parfois, il va sans dire, la vie ne tient qu’à un fil. Ou à une question. La question, en l’occurrence était celle-ci : serions nous assez rapide pour passer à proximité d’eux et atteindre notre refuge, ou seraient t’ils, eux, assez rapides pour couper notre trajectoire, auquel cas je ne donnais pas cher de nos peaux ?

 

 Nous passâmes. Le fait de devoir nous déplacer si prêt de ces créatures ignobles, qui tendaient déjà les bras vers nous, avec dans leurs cris cette nuance - que j’avais déjà pu entendre par le passé-  d’avidité et de malsaine anticipation, était une épreuve au-delà des mots. Avez-vous déjà été obligé de marcher à proximité d’un précipice vertigineux ? Ou juste à côté d’un chien de taille énorme, d’une espèce réputée imprévisible, que vous ne pouvez pas éviter, sans pouvoir maîtriser votre angoisse, sachant que cette dernière risque justement d’induire un comportement agressif, le tout en se demandant avec une angoisse éperdue si, cette fois-ci encore ça va « passer » ou si c’est aujourd’hui que ça va « casser » ? Si oui, rappelez vous votre peur, multipliez la par mille, et cela vous donnera une vague idée de ce que je ressentais – de ce que nous ressentions certainement tout deux – au moment ou nous passâmes à proximité de ceux qui étaient revenus de la tombe commettre de monstrueuses orgies cannibales aux dépens de nous, les vivants, les fuyards, les traqués. Les proies. Etre une proie. C’est apparement le comble de l’horreur, pour un esprit humain. Je le sais pour l’avoir vécu.

 

 Et une proie blessée, qui plus est, avec tout ce que cela peut induire de détresse supplémentaire. Car c’est au moment de notre fuite de retour que, de nouveaux, des langues à la fois enflammées et acides se mirent à sabrer mon corps en une diagonale cruelle partant de mon épaule contusionnée. A tel point que, même au comble de l’horreur, confronté aux affres de la plus indicible terreur, cette dernière douleur ne put faire autrement que de me ralentir. Cette saleté m’avait au moins permis de jouer les héros suffisament longtemps pour secourir mon vieux pote, mais avait apparement décidé que je devrais payer l’addition , là, maintenant !

 

 Cela dit, nous étions presque arrivés, et aucune main de zombie regroupée en griffe insane n’avait brutalement stoppé notre avance, chose que mon esprit redoutait en permanence, et qui était ma principale appréhension génératrice de ces surcharges d’énergie de terreur qui transformait mon dos en fourmilière atteinte de folie.

 

 C’est en arrivant à seulement une toise de l’encadrement béni de la grille surelevée que la souffrance connu un soudain pic, un crescendo traître et assassin, si pénible à supporter que j’en eu le souffle coupé, et que, dans ma précipitation et ma semi-panique – salvatrice adrénaline, ou était tu alors passée ? – je trébuchais, et, douleur et faiblesse dans mes jambes devenues cotonneuses sous l’effet additionné de la course effrénée et de la peur, je chutais lourdement sur le macadam en m’écorchant le coude gauche par dessus le marché.

 

 Je fut alors, réellement, à deux doigts non seulement de la panique réelle, mais de la folie pure et dure, mon esprit vacillant aux abords de la démence sous l’assaut de la terreur animale, viscérale, que j’éprouvais alors. Je crois que n’importe qui aurait paniqué, chutant ainsi, blessé et essoufflé, sur le parking d’une aire de repos en sachant les morts vivants à seulement quelques mètres derrière. Mais, la peur panique et débilitante qui montait alors en moi fut stoppée nette par l’événement qui survint chronologiquement : je me senti tiré en avant par deux mains fortes et solides. Merci, monsieur et Madame Moreau, d’avoir dôté votre fiston de ces deux honnêtes et solides mains de bon gars lui même sain et solide, car ces mains là m’arrachèrent des mâchoires de la mort, ne faiblissant pas à l’instant crucial.

 

 Eperdu de douleur, alors que je m’escrimais à reprendre mon souffle en fixant, à quatre pattes, les néons blancheâtres du plafond, j’entendis, à défaut de le voir, que ces mêmes mains refermèrent la fameuse, je dirais même la désormais mythique grille de fer forgé dont les croisillons en losanges métalliques reprirent leur rôle de remparts contre l’horreur. Et nous, nous reprimes notre rôle initial, celui d’assiégés. Sauf que cette fois-ci les assiégés étaient trois.

 

 Sains et sauf. Nom de dieu on était sorti sauver cette drôlesse et on était sains et saufs. Pour l’instant, mais il n’en restait pas moins que la vie vibrait toujours en moi, en lui, et en elle. Bizarrement, alors que mon souffle se calmait, que les battements de mon cœur apaisaient leur cavalcade effrénée dans ma poitrine - décidant de recommencer à injecter mon sang dans mon corps placidement au lieu de s’emballer comme un cheval de course rendu fou furieux – je pensais à la faux. C’est typiquement et humainement normal, pour autant que j’en sache. Les gens, confronté à l’horreur, à la mort, à la détresse, parfois partent dans des réflexions grotesques à force d’être hors-contexte. Les accidentés graves de la route qui râlent parce qu’ils ont abîmé leur nouveau jean, maintenant tout déchiré et taché de sang…Les gens qui viennent de chuter lourdement, gisant sur le sol avec plusieurs fractures ouvertes et se demandant si ils ont bien pensé à fermer le gaz ce matin. Les mystères du cerveau humain. Et mon cerveau - dont on ne peut indéniablement nier la qualité d’humain et le lot de bizarreries qui va avec - eu lui aussi cette réflexion un peu étrange : dommage, je n’avais pas pu ramasser cette damnée faux à mon retour. Reflexion ceci dit constructive – l’arme pourrait nous être éventuellement utile en cas de combat rapproché. Mais était-ce bien le moment de partir dans de telles considérations ? Les arcanes de l’esprit humain sont tortueuse et renferme bien des mystères et parfois un soupçon de magie, magie qui m’avait dopé lorsque quelques minutes plus tôt à peine – une éternité, déjà – j’avais tenté cette folle sortie.  Moi, et ma sainte, chère, et salvatrice, adrénaline.

 

 Et maintenant,  nous sommes là, sur les chaises en cuir rouge de cette caféteriat d’un trou paumé, devenus les trônes d’une citadelle assiégée dont nous sommes les gardiens. Nous sommes baignés d’un soleil d’hiver qui s’amuse, obliquement, à passer les mailles de notre grille pour jouer à projeter ses rayons d’ocres et d’or qui viennent mourir lumineusement sur nos visages. Ayant quelquechose d’apaisant, tout comme ce café noir qui darde ses effluves irrésistibles à nos sensibles narines, tentant de concert de nous rappeler que tant que la vie dure, l’espoir dure aussi, et même le bonheur. De simples bonheur peuvent toujours exister. Et le fait de vivre, de toujours être là, de ne pas encore faire partie de ceux qui sont tombés, en est un. Et nous nous regardons, choqués, et hébétés, avec Stéphane, pendant que Stéphanie, elle, reste muette après son récit.

 

 Et oui, elle s’appelle, assez platement, Stéphanie. Non pas que j’eûsse quoi que ce soit à reprocher aux Stéphanies – il doit y en avoir d’absolument charmantes. Mais elles ont ceci en commun avec les Catherines ou les Virginies qu’elles pullulent sur notre bon territoire des Gaules depuis des décennies. Elle est assez jolie. Pas une beauté fatale, mais plutôt mignonne. Disons, le genre que l’on remarque dans la rue, mais pas celle sur laquelle on se retourne une deuxième fois. Cheveux châtains, mi longs, les yeux noisettes. Elle dégage quelquechose d’assez naïf. Et elle a l’air très jeune, peut être 16, 17 ans ? Que voulez-vous, la vie n’est pas un film. Dans ces derniers, les héros sauvent des filles qui s’appellent Priscilla ou Jennifer, font au minimum du 95-C, et sont non seulement à tomber par terre mais prête à vous y accompagner. Zombies ou pas. Mais ça, c’est dans les films : dans la réalité, elles s’appellent Stéphanie, sont jeunes et naïves avec un accent campagnard, et ne sont que vaguement mignonnes. Mais si la vie n’est pas un film, le révoltant récit qu’elle venait de nous faire en avait, lui, bel et bien l’air issu.

 

 

 


chapitre precedent

4 mars 2007

“On fait pas d’omelette sans casser des oeufs”...

 

 

 (...)

Nous venions d’assister à un événement soudain. Une jeune femme était en moto et venait de pénétrer dans cette aire d’autoroute. Elle percuta quelque chose et fut projetée aux pieds d’un groupe de morts-vivants affamés par cette belle pièce de viande.

Celle- ci avait encore l’air sonnée. Son casque s’était brisé lors de sa chute.

Nous entendions toujours un bruit de moteur malgré le fait que la moto avec laquelle elle avait chuté est calée.

Will me regarda, impuissant, l’air de dire : « on ne va pas rester là sans rien faire ?… ».

La fille était affolée, bien qu’encore sous le choc. Elle se tenait le bras tout en se relevant tant bien que mal. Le groupe de zombies s’approchait inexorablement d’elle. Paradoxalement, la fille regardait les zombies mais aussi par de brefs coups d’œil, elle tournait la tête dans la direction d’où elle venait. Elle tenait à peine sur ses jambes. Il fallait agir.

Je ne la distinguais plus bien. Je fis donc part de mon plan à Will. Celui-ci était des plus simple : les morts-vivants étaient pour la plupart attirés par elle. Il suffisait de les détourner de leur intention première (ce dont j’allais me charger) et pendant ce temps là, il fallait aller chercher la fille et la ramener dans la cafet’ au chaud (ca c’était le boulot de Will). Malgré son épaule démise, je savais que Will y arriverait.

Nous fîmes donc le tour par derrière, comme je le pensais les zombies étaient partis, attirés par ce repas qui les attendaient. Je sortis mon pistolet, et mis les pieds dehors.

La fille, toujours sous le choc, tentait plus ou moins de repousser ses assaillants au ralenti avec un morceau restant de son casque. Ses coups étaient imprécis et voués à l’échec, mais ils suffisaient pour l’instant à maintenir les cadavres à distance raisonnable.

«  Will, tu es prêt ?… Je sais que tu as mal à l’épaule mais on doit tenter quelque chose pour cette pauvre fille, dis-je en me tournant vers Will.

Comme à l’accoutumée sa réponse était en accord avec ma proposition. Après tout, on disait que les vrais héros se révélaient qu’à l’approche du danger. Peut être que nous avions un rôle à jouer au milieu de tout cela ?

Un dernier regard à Will et j’y allais.

La plupart des « cadavres » nous avaient délaissés au profit de cette arrivée de viande fraîche. Leurs râles plaintifs avaient disparu et étaient remplacés par des plaintes vocales plus marquées. La fille semblait au bord de la panique mais elle arrivait pour l’instant à repousser les invitations des affables morts-vivants.

Je me rapprochais un peu plus, pris mon pétard en main et visait les premiers zombies qui s’approchaient de la fille. J’allais commencer ma diversion. Mais pourtant, ce fut autre chose qui attira les âmes en peine.

Une autre moto venait de surgir et deux individus étaient dessus. Je crois qu’ils furent un peu surpris par la masse de zombies qui était présente pour les accueillir. Le premier avait l’air d’être un bon pilote car il ne se laissa pas avoir par son freinage réflexe brutal. Le deuxième avait une faux entre les mains, vous savez celles que l’on trouve dans les campagnes qui servaient autrefois à couper les hautes herbes. Sans aucun doute, ils étaient là pour la fille, d’ailleurs le premier la repéra (sans trop de mal) et la désigna à son passager qui déplia un objet qu’il avait il y a quelques instants sur le dos. Il s’agissait d’une laisse télescopique comme celles que l’on utilise pour attraper les chiens dangereux dans la police.

La fille semblait prise de panique en apercevant les deux hommes. Elle avait presque autant l’air d’avoir peur d’eux que des morts qui tentaient de la dévorer.

Toujours est-il que le motard accéléra, et se mit à foncer sur elle tandis que son passager préparait la « laisse » avec l’intention clairement exprimée de la capturer sur leur passage.

Il fallait que je fasse quelque chose. Ces deux hommes n’avaient pas l’air d’avoir des intentions bénéfiques à l’encontre de la jeune femme. Je pris mon tonfa et fonça vers l’attroupement de zombies qui paraissait hésiter entre la fille et les deux autres sources de nourritures. Je n’eus pas trop de mal à passer au milieu des cadavres en les écartant à coups de tonfa assénés dans le creux du genoux. Les morts-vivants n’avaient même pas l’air de se rendre compte que j’étais là. La moto se rapprochait, je plongeais vers la jeune femme qui semblait comme paralysée. Je fus un poil court mais je réussis tout de même à la plaquer au sol à temps pour que le « collet » ne la prenne pas. Par contre, alors que la moto poursuivait sa route, nous nous retrouvions l’un sur l’autre au milieu des morts qui semblaient décidés de nous déguster comme hors-d’œuvre de leur festin.

Tant bien que mal, j’essayais de maîtriser la demoiselle. « … ça va… ça va… je ne suis pas l’un d’entre eux… Je viens vous aider… », seulement le problème était que je commençais à devoir faire face à tous les zombies du coin qui avaient eu le temps de se regrouper attirés, pour ceux qui ne l’étaient pas encore, par l’agitation qui se produisait devant eux.

Pendant ce temps, je distinguais la moto qui faisait demi-tour et se préparait sûrement à un deuxième passage. Notre situation s’annonçait mal barrée.

Et puis comme la cavalerie dans les vieux westerns de John Wayne, quelque chose a brutalement projeter les zombies qui étaient devant nous quelques mètres plus loin, nous ouvrant ainsi une voie pour rejoindre la cafétéria. Il s'agissait de Will qui avait sorti l'une des grandes tables a roulette de la caféréria et l'avait poussé malgré son épaule démise jusqu'a nous. Pour une fois, j'avais vraiment l'impression d'etre le héros d'un film de zombies, mais de ceux où les héros gagnent à la fin.

Grâce à mon ami, nous pouvions nous retrancher vers la cafétéria, notre source de sécurité. Le probleme était que nos deux amis à moto ne l'entendait pas de cette oreille et avaient décidé de nous charger avec la faux cette fois.

"Will, prends la fille avec toi et rentre!!..." La fille était dans un état de choc, elle suivait tant bien que mal notre course éffrénée. Will me jeta un regard mais il compris quand je mis mon tonfa en position de défense et ne dis rien, s'occupant de sauver notre jeune ami des affamés qui se regroupaient dèja, et des deux motards qui lui en voulait pour je ne sais quelle raison.

Toujours est il que les motards étaient déja sur moi, et je reussi tant bien que mal à esquiver. Celui qui avait la faux dans les mains avait bel et bien essayer de me tuer. Et maintenant ils se dirigaient tout droit  vers la fille et mon ami qui étaient un peu plus loin.

C'est dans ces moments là que le stress est soit un facteur positif, soit un facteur négatif. Mais je crois que j'avais été touché par la grâce à ce moment là. Je me vis comme dans un rêve au ralenti. Je sortis mon calibre, me mis à genoux, en position de tir visé et tranquillement je visais le dos de celui qui tenait la faux.

Vous me croirez si vous voulez mais comme dans les films, je fis mouche deux fois. Will se retourna et vit la moto qui faisait une embardée avec celui que j'avais touché qui roulait au sol en ayant laché sa faux et le conducteur qui était en panique parce qu'il voyait arriver sa chute sans rien pouvoir faire. Will pu finir sa course avec la jeune fille jusqu'à la porte salvatrice de la cafétéria. Les zombies alentours s'étaient déja précipités (si l'on peut dire ça) sur celui que j'avais touché et qui tenter tant bien que mal de bouger pour éloigner la mort lente qui lui tombait dessus. Quand à l'autre, il se retrouvait encerclé. Il avait fait une glissade qui l'avait déboussolé et les zombies avaient eu le temps de se mettre tout autour de lui.

Quand à moi, je les avais oublié et pourtant ils étaient également "amoureux" de moi et voulaient à leur tour m'embrasser....

J'étais dans un beau pétrin, tiens...


(...)

8 février 2007

L'Offrande

La perception que nous avons du temps, c’est bien connu, est toute relative. Un adage Arabe dit : met ta main dans le feu, et une minute te paraîtra une éternité. Mais passe une éternité dans les bras d’une femme splendide, et cette éternité te semblera durer une minute. Je ne donnerais pas tort à toute cette sagesse ancestrale. Surtout pas après une telle matinée de long et morne cauchemar, interminable. L’épreuve physique terrible que nous avions, mon flic de pote et moi même, traversé à tour de rôle, fut succédée par une épreuve plus subtile, mais non moindre : la torture psychologique, vieux moyen éprouvé et breveté par les tortionnaires de tout poils depuis que le monde est monde pour briser un être lorsque les sévices à l’intégrité physique ne suffisent pas.

But de la manœuvre, but de l’exercice : continuer d’être, d’exister, de s’adresser mutuellement la parole avec le seul autre être humain – vivant, je veut dire – à des lieues à la ronde. Bref, continuer de vivre. Et sans perdre l’esprit. Sans sombrer dans une douce folie, dans une salvatrice catatonie qui, déesse noire au visage flou nous attendait tappie dans l’ombre avec ses promesses d’oubli, de vide, dans son immense océan sans fond ou nous aurions sombré dans la paix de l’âme, désormais indifférent à ce que nos enveloppes charnelles seraient appelées à subir tôt ou tard. Déesse tentatrice et perfide que je sentais plusieurs fois papillonner aux confluents de mon intellect mis à rude épreuve dans cette nuit des âmes perdues.

A mon réveil, Stéphane s’occupa de moi comme un frère. Il me prépara même un café, et dans cette situation abominable et incongrue, il me sembla être un nectar noir, chauffant le cœur et l’âme, une ambroisie d’ébène pour les damnés du nouvel Erèbe ou du nouveau Pandémonium. Dante, et Virgile, rappelez vous. Désormais au fond du neuvième cercle, coincé dans une cafétérias quelque part en France – mais nommer des nations avait t’il encore de l’importance -. Obligés d’entendre perpétuellement les lamentations désincarnées et atrocement plaintives d’une armée de morts dont ils n’étaient séparés que par une grille de sécurité.

Avez vous déjà vu l’un de ces documentaires ou quelques vaillant océanographe des antipodes, aventurier des mers australes doublé de scientifique engagé écologiquement, se plonge (au sens propre, comme au sens figuré) volontairement dans cette situation ou seulement une grille le sépare de monstres au dos gris acier et au ventre laiteux, montés des profondeurs intrigués par cette proie potentielle. Des squales dont l’on sent, dont l’on sais, que sans cette grille, toute la puissance à la fois animale et mécanique se déchaînerait. Mâchoires de rasoirs coniques animés en mouvance fulgurante, pour réduire à l’état de pulpe sanguinolente le play-boy océanien au sourire ultra-brite. Le sang, une brume liquide et écarlate. L’horreur absolue. Sans cette grille.

Et bien, voilà bien évidemment exactement comment je me sentais, et bien évidemment Stéphane également. Et tout le long, tout le long de cette chienne de matinée baignée de la lumière incongrue d’un beau soleil d’hiver, on nous le rappela, ce danger permanent même si momentanément écarté, on nous y replongea, dans cette situation grotesque, terrifiante, et aussi je dirais quelque peu humiliante, d’appât vivant. Les zombies ne cessaient pas leurs grognement, ne cessaient pas de frapper sur la grille. Boum, boum…boum…Sans cesse. Sans cesse encore, et encore. Les coups, les cris, affreux, intolérables, emplis de vide, emplis de néant si ce n’est la faim dévorante et brûlante de leurs estomacs putrides Boum, boum…BOUM…

Alors, comment faire fi de tout cela ? Comment penser à autre chose qu’à EUX lorsque sans arrêt l’on entend leurs cris qui bien qu’inarticulés et incompréhensibles nous véhiculaient ce message très clair de faim de nous.

Les mots étaient inutiles et nous parlâmes peu. Je subit donc cette nouvelle torture aussi stoïquement que possible, consolé par cette unique pensée : je n’avais pas le choix. C’était être coincé dans ce clapier à servir « d’excitoire » pour morts-vivants affamés venus faire un obscène lèche vitrine devant notre cafétérias perdu, ou rien. Croyez le ou non j’en oubliais ma douleur physique. Car évidemment elle était toujours là. Si au niveau de mon visage la douleur s’était plus ou moins engourdie – se réveillant toutefois par moment et laissant place parfois à des fortes démangeaisons qui me brûlaient l’arcade sourcilière – la douleur de mon côté luxé était elle toujours bien permanente et me gratifiait d’un coup de lame acérée me fouaillant l’intérieur à chaque respiration.

On essaya bien, de résister à l’ambiance de cauchemar absolu. Stéphane nous fit plusieurs tasses de café. En fouillant la cafétérias, nous finîmes également par trouver de quoi nous sustenter. Et d’ailleurs j’avais extrêmement faim. L’électricité étant toujours en état de fonctionner, un congélateur déniché nous livra ses trésors, des pizzas surgelées que nous décongelâmes puis préparâmes à l’aide du four micro-onde destiné à ceux qui venaient réchauffer des plats tiédis par une trop longue attente en caisse, avant, du temps de la normalité chérie. Elle passa toute seule, cette pizza, arrosée d’un soda à l’orange et finalisée par un café liégeois.

Je n’ai pas prit tellement attention à ce que Stéphane mangea, à l’exception du fait qu’il se prépara lui aussi une pizza. Les zombies se firent t’ils la réflexion que c’était très bien que nous nous engraissions, car ainsi nous n’en serions que meilleurs à dévorer ? Possible, mais j’en doute, à voir leurs visages désincarnés livrés à la plus élémentaire des bêtises brutale et animale. Passez moi cet humour noir, elle peut parfois être la dernière arme des désespérés pour ne pas embrasser l’étreinte de la déesse au flou visage de la démence.

Mais devant les heures qui s’égrenaient à être épié par les zombies qui frappaient encore et encore, et gémissaient continuellement, la seule alternative que j’eus pour échapper à la peur permanente et à cette ambiance cauchemardesque qui nous tiraient petit à petit et malgré nous dans cette folie qui nous guettait, ce fût la tristesse et la peur non plus pour moi, mais pour autrui. Ils étaient nombreux. Ils étaient si nombreux. Des centaines, les bras ballants, des dizaines, agglutinés devant la grille. Une telle multitude, rien que sur le parking de la cafétérias de l’aire de repos de Ploucville-sur-vienne. Alors, en y pensant, je pris là enfin réellement conscience du fait que personne ne viendrait nous aider. Personne. Plus d’instances, plus de forces de police, de pompier, plus d’ordre établi. Le chaos. Rien. Désormais, ce serait chacun pour soi, et devant de telles myriades de morts, devant ces légions de l’enfer, force était d’admettre que l’espoir pour ceux que nous aimions s’était encore amoindri pour avoisiner le zéro.

Etait t’il du domaine du possible que, devant les masses incroyables de morts qui marchaient maintenant sur les rues, les campagnes, les villes, les autoroutes et que sais je encore de tout le pays, les miens aient pu échapper à une fin au delà de toute horreur ? Ma fiancée…ma sœur…mon père, ma mère…devrais je faire le deuil des quatre personnes qui comptaient le plus au monde pour moi…ceux qui étaient ma raison de vivre ? La perte d’un seul de ces quatre m’était déjà une idée intolérable. Mais les quatre. Je n’osais pas y penser, mais de peur, de frustration, je me retrouvais un moment la tête entre les mains, leurs visages tant aimés passant et repassant devant mes yeux dans l’éclat ensoleillé de souvenirs chéris de jours anciens de rire de communion et de complicité. Des larmes salées trop longtemps contenues dévalant sur mes joues. Et toujours sur le même fond sonore. Toujours les cris. Toujours les coups. Boum…boum…BOUM.

Puis soudain dans mon esprit ce fut la cassure...

« Vos gueules tas de m… »

Je me retrouvais soudain ceinturé par Stéphane, qui avait passé ses bras autours de mes épaules et de mon corps pour m’éviter de me jeter aveuglément sur la grille dans ma rage. Emergeant de l’état second dans lequel m’avaient plongé ma tristesse, ma peur pour ceux que j’aimais, et le pouvoir hypnotique des coups et des lamentations des morts, je fut saisi de nouveau par une douleur au delà de tout les mots, due au fait que Stéphane m’avait stoppé brusquement dans mon élan et cela en dépit de ma sérieuse luxure au côté Mais comment lui en vouloir, il l’avait fait pour m’aider. Un peu honteux, hébété, je retournais sur la chaise au siège de cuir rouge et sans dossier d’ou j’avais jailli. Pour y replonger dans mes pensées. Pour me laisser absorber de nouveau par ma peine. Pour m’y replier sur moi même.

Nous n’en avions pas encore parlé, avec Stéphane, mais à un moment ou à un autre, il nous faudrait bien aborder le sujet de la poursuite de notre expédition. Tenait t’elle toujours ? Allions nous tout de même tenter de trouver un moyen de joindre Limoges et ses environs. Cela avait t’il encore un sens ? Toujours fallait t’il que cela soit encore du domaine du possible. Or sortir de cette cafétéria sans mourir dans des conditions indicibles dans les minutes qui suivaient, tenait du miracle. Tout semblait perdre son sens, dans l’apocalypse des morts, même ce qui hier tenait le haut du pavé dans l’ordre des priorités et des importances. Tout s’effaçait, surtout lorsque nous étions dans notre situation, au profit d’une priorité nouvelle, mais plus impérieuse que quoi que ce soit : survivre.

Nous avions pour l’instant paré au plus pressé, et même mon pragmatique, efficace, et terre à terre ami gardien de la paix n’avait pas prit le temps de faire un réel point de notre situation à plus long terme. Nous savions déjà qu’il restait bien évidemment de la nourriture dans cette cafétéria, que nous avions trouvé dans une toute petite arrière salle derrière le comptoir un grand congélateur et un frigidaire remplis de plusieurs jours de nourriture au moins, que l’électricité continuait de fonctionner, que nous avions des toilettes à disposition. Et je savais qu’il me restait dans mes poches deux paquets de cigarettes, ce qui peut sembler dérisoire comme besoin lorsqu’on est confronté à un problème de survie. Mais dérisoire aux non fumeurs seulement. Et surtout, seul réel moment de joie pour moi dans cette matinée, un des tiroirs derrière le comptoir révéla à ma vue deux paquets de Camel et un de Marlboro. A ce que Stéphane m’avait expliqué, il avait prit la peine de nettoyer les toilettes pour que nous n’ayons pas à entamer notre longue attente dans une odeur de pourriture infecte. Ayant fait attention à n’utiliser que trois balles lorsqu’il avait dû utiliser son arme contre les morts vivants sortis des toilettes, Stéphane avait encore des munitions en nombre assez conséquent. Là, par contre, bon point. Il avait toujours son tonfa, ce qui était également mon cas. Le téléphone mural beige accroché dans un coin n’avait donné qu’un signal sonore agrémenté d’une voie chaude et féminine nous informant d’un service en « dérangement ». Non, sans blague ? Les zombis sont plus que dérangeant, ma cocotte. L’un dans l’autre en tout cas, voilà ou nous en étions.

C’est vers la fin de la matinée que survint le seul événement notable dans ce qui avait finit par devenir une sorte de routine malgré la terreur, la fatigue et l’angoisse de l’attente. Une routine sous les coups martelés et les lamentations scandées. C’est d’ailleurs au delà de ces bruits faibles mais constant que se dessina nettement un autre bruit, un vrombissement pétaradant d’abord faible mais qui augmenta très rapidement en intensité pour s’imposer à nos sens comme étant le bruit d’un moteur. A première écoute celui d’un deux roues. Immédiatement nous furent tout les deux debout, tentant de voir à travers le rideau gris, rouge, et couleur chair, des visages hideux de Macabées gémissant. Dans ce genre de situation, le corps et la pensée ne font réellement qu’un, il semblerait.

A peine avions nous discerné ce bruit que nous étions sur pieds, approchés de la grille au risque d’exciter plus que dangereusement les morts, malgré la présence rassurante du rideau métallique. Mais les morts eux même avaient entendu le bruit en question, ou pour les plus atteints du moins la vibration de l’air à moins que cela soit l’un des mystérieux organes sensoriels de ces créatures fétides. La faculté de sentir la chaire fraîche à des lieux à la ronde peut être. Quoiqu’il en soit, la grosse quinzaine de morts qui s’accrochaient le plus fidèlement au rideau métallique depuis des heures nous délaissa soudain, se détournant, les bras ballant. Je put entendre nettement que plusieurs d’entre eux poussèrent un autre type de gémissement. Plus vif, plus avide, moins plaintif. Avec une étrange nuance…je dirais de triomphe, voir même de surprise ravie, une sorte d’anticipation. Nous pûmes grâce à ce soudain désintérêt de nos plus fidèles fans discerner davantage la scène.

D’où venait t’elle ? Mystère. Que faisait t’elle ici, encore plus mystérieux. Parfois les évènements sont comme ils sont, point final. Sans qu’on aie d’explications. On ne peut alors que se perdre en conjonctures. Une autre personne de la région Parisienne partie dans une expédition héroïque vers le Sud pour retrouver ses proches perdus dans l’apocalypse des morts, avec comme différence notable d’être une jeune femme, et d’être encore plus tête brûlée que nous puisque ayant fait sa route à moto ? Peu probable. Une jeune femme de la région, restée pour une raison X ou Y (un chagrin d’amour peu être ?) calfeutrée chez elle depuis un bon bout de temps avec des réserves inépuisables de nourriture, coupée du monde, qui n’avait ni écouté la radio, ni écouté la télévision, et se jetait soudainement dehors au grand air pour découvrir que son monde connu avait dans l’intervalle était remplacé par un cauchemar digne des pires hallucinations dantesques des maîtres de l’épouvante ? Peut être, qui sais ? Mais toujours est t’il que les faits sont là, et qu’il nous faut parfois bien les accepter, et les faits en l’occurrence furent ceux ci : Une jeune femme vêtue d’un blouson de cuir marron foncé, d’un vieux casque de moto d’un blanc sale, et d’un jean, montant un deux roues dont je ne put voir la marque mais qui me semblait peint en vert métallisé clair, déboucha tout d’un coup sur le parking, fonçant directement sur le plus important groupe de zombies, en proie apparemment à la plus grande des frayeurs et des confusions – ce qui s’explique aisément cette fois ci – arrivant bien trop vite et de manière bien trop affolée pour pouvoir garder son assiette plus longtemps. La scène fut pour nous d’une vitesse foudroyante, et je revois surtout ses yeux grand agrandis de frayeur ultime, exorbités par une terreur absolument impossible à décrire, quelques secondes avant que son véhicule, qu’elle ne maîtrisait maintenant plus du tout, finissent par la jeter au sol après quelques rigodons violents ressemblants aux soubresauts d’un cheval blessé. Elle fut littéralement projetée aux pieds d’un groupe de morts vivants , tel l’offrande frémissante de vie qu’elle était.

(To be continued)

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